Retrouver le goût des autres
Invité : Sophie BRAUN
2021/06 - Juin
Le propos
La psychanalyste jungienne Sophie Braun s’appuie sur les témoignages des patients qu’elle reçoit. La tentation du repli sur soi est une tendance sociétale mais les jeunes qui n’arrivent plus à franchir les grilles de leur lycée et se réfugient sur les réseaux sociaux sont de plus en plus nombreux et souffrent intensément. D’un autre côté, les adultes sont en proie à des fatigues chroniques et se calfeutrent chez eux, souffrant eux aussi.
Sophie Braun nous aide à comprendre les raisons de ces replis et à trouver des ressources en soi pour rompre avec l’isolement et retrouver le goût des autres.
Des phrases clés
« J’ai toujours été passionnée par la psychanalyse et par une recherche de compréhension de l’humain et de l’âme humaine … J’ai commencé une thérapie, très jeune, freudienne … Et j’ai rencontré Jung, plus tard, vers l’âge de quarante ans en lisant « Ma vie » de Jung. »
« Les fragiles CANARIS du fond de la mine … J’ai été étonnée de voir, dans mon cabinet, de plus en plus de patients qui avaient des formes graves de repli sur soi … Ce sont les gens les plus sensibles, les plus fragiles qui ont exprimé cela, d’où l’image des canaris, ces oiseaux que les mineurs emmenaient avec eux au fond de la mine. Les canaris mouraient quand il y avait des effluves de gaz. Il fallait alors remonter très vite … Avec les canaris, il y a l’image du sacrifice. »
« J’ai la crainte que nous perdions le sens de la relation. »
« La tentation de vivre des vies par procuration plutôt que des vies réelles, dans lesquelles il y a plus de risque. »
« Le COVID fragilise encore plus, il amplifie ces réactions de repli sur soi … Les autres deviennent toxiques, le monde devient toxique. »
« JUNG, dans « Ma Vie », raconte son expérience de phobie scolaire quand il entre au collège … Il a des syncopes et ne peut plus aller en classe … C’est le corps qui porte la souffrance ... Quand le corps porte le malaise, c’est que l’espace psychique n’est pas suffisamment solide pour pouvoir accueillir les sensations du corps et pouvoir les transformer, en faire quelque chose. »
« En retournant au collège, JUNG découvre qu’il y a de l’autorité en lui … J’ai beaucoup aimé ce terme d’autorité. On parle souvent de volonté mais il ne sert à rien d’en appeler à la volonté car c’est une énergie du MOI qui est alors trop faible pour mettre en œuvre la volonté. »
« Fonctionner entièrement avec son MOI qui n’est pas assez fort et s’écroule … La FABLE DU CHENE ET DU ROSEAU : Quand on est entièrement en appui sur le MOI, sans relation avec son inconscient, on est comme un chêne, on croit qu’on est fort. Mais dès qu’il y a un gros coup de vent, on est déraciné Quand on est dans une relation plus apaisée entre le conscient et l’inconscient, on est comme un roseau, on va plier, on va vivre des épreuves mais on va pouvoir résister."
« Les jeunes patients qui vivent ce repli sur soi, vivent dans des environnements plutôt attentifs et plutôt agréables … avec des parents « suffisamment bons » comme dirait WINNICOTT … Donc, je pense qu’il y a vraiment un phénomène social, l’individualisation … Les enfants sont désirés, élevés comme des enfants-rois, éduqués avec l’idée que dans la vie ils pourront tout en s’accrochant, avec le sentiment qu’ils vont pouvoir choisir, décider … »
« Les individus ont une promesse que le monde social ne tient pas. »
« Je crois que chaque individu vit, dans son psychisme, les conséquences de la guerre économique … On croit qu’on élève les enfants comme des guerriers alors qu’on les désarme et on les fragilise terriblement. »
« Bien sûr, il faut se battre, se défendre … mais, peut-être, pas comme des guerriers … Et c’est dans la relation entre le conscient et l’inconscient qu’on peut trouver des formes d’énergie qui nous vivifient, qui nous animent, qui nous donnent envie de … »
« LES DEFENSES DU SOI : Quand le Soi est très attaqué, quelque chose va venir le refermer pour le protéger ; ça protège mais, en même temps, ça enferme les gens ... Le Soi attend – comme ces gens vivant repliés sur eux-mêmes – que quelque chose se passe, que quelqu’un voit ce qui se passe et vienne le chercher.»
« Le chemin qui va du repli sur soi à l’ouverture à l’autre, c’est le chemin de la vie … Pour nous tous, c’est une vraie question : comment est-on en relation, les uns avec les autres ? »
« L’entourage, de ceux qui se replient sur eux-mêmes, se sent très vite impuissant. Cette impuissance est le reflet de l’impuissance que ressent la personne qui ne peut plus sortir de sa chambre ou de son appartement. »
« Face à ces situations, la notion d’INDIVIDUATION de JUNG est fondamentale … C’est l’individu dans le monde, l’individu et le monde, l’individu dans ses relations avec le monde. »
« Le presque-rien qui redémarre, puis une jubilation, la phase où la vie va repartir … C’est toujours très long et c’est toujours à partir de presque-rien, comme des miracles … Le dialogue entre le moi et l’inconscient va reprendre très doucement, on va lui faire confiance … Quelque chose de la vie revient, quelque chose du désir revient. »
« Les questions d’ACCORDAGE : créer un espace dans lequel la personne se sente en sécurité et puisse sortir du sentiment d’impuissance et de désespoir. »
« FREUD : le narcissisme des petites différences. Quand on accepte de plus en plus difficilement de discuter avec des gens différents ou qui ont des avis différents … Je pense que c’est un phénomène de société aujourd’hui. Freud voyait bien comment les processus d’individualisation ont leurs revers … La peur est en train de devenir le principal ciment social … C’est difficile de n’être ni dans une position de déni, ni dans une position d’apocalypse annoncée. »
« Je pense que le monde sera celui que nous construirons et que nous construisons. Peut-être que nous avons plus de marges de manœuvre que nous ne le pensons ! … Vivre autrement, chercher du sens. »
Conseils de lecture
La tentation du repli – burn-out, fatigues chroniques, phobies scolaires et sociales, addictions aux jeux vidéo par Sophie BRAUN - Editions du Mauconduit.
La crainte de l'effondrement et autres situations cliniques par Donald WINNICOTT - Editions Gallimard
Malaise dans la civilisation par Sigmund FREUD - Editions Payot