Sur les traces de Jung

Le propos

Bertrand Eveno, éditeur du fac-similé du Livre rouge de Jung, et Jean-Paul Morley, pasteur de l’Eglise protestante unie de France nous présentent leur compréhension du livre de Jung « Réponse à Job »

A propos de son ouvrage publié en 1952, Jung écrivait : « Le Livre de Job » joue simplement un rôle de paradigme : c’est un exemple d’expérience de Dieu qui peut revêtir pour notre époque une signification toute particulière. »

Comment Job est-il confronté au Mal ? Jean-Paul Morley et Bertrand Eveno revisitent le tumultueux dialogue qui s’en est suivi entre les théologiens et Jung. Ils chercheront aussi un éclairage complémentaire avec la "théologie du process"

Des phrases clés

« JOB, le livre de l’Ancien Testament, a été écrit pendant la période Perse (-6ème-4ème siècle avant notre ère) par plusieurs écoles théologiques … Pour Israël, c’est l’époque du second temple de Jérusalem, il est reconstruit. »

« JOB est un poème de la Bible, un cri de protestation contre l’injustice de Dieu, un livre écrit sans doute en réaction à la tragédie de la chute de Jérusalem en -587, qui a été suivie par la déportation des juifs à Babylone … Job est un poète, révolutionnaire face à Dieu. »

« Le Dieu du Premier Testament est un Dieu-juge et tout puissant … Avec la doctrine de la RETRIBUTION d’un Dieu-juge et tout puissant, la tragédie de la chute de Jérusalem est forcément une punition de Dieu et c’est ainsi que, dans la Bible, les prophètes et les théologiens l’interprètent … Et c’est là que Job dit NON … Les amis de Job défendent la logique de la rétribution ; Job refuse cette logique. Job polémique avec Dieu, il plaide, demande justice … Sa protestation est belle, pleine de vie, de courage, de foi malgré tout, exigeant, du Très-Haut, la justice … Aux termes de la controverse, Job n’obtient pas la justice qu’il revendique mais le Créateur lui répond et lui parle … Dieu l’a écouté."

« JOB est le seul et beau livre du Premier Testament qui dénonce frontalement cette terrible logique de la rétribution, celle que Jésus de Nazareth fera voler en éclats. »

« JUNG souligne Satan. Au début de JOB, Dieu a fait une sorte de pacte avec Satan. »

« REPONSE à JOB est un livre extraordinairement personnel pour Jung, il est sur le terrain de ses émotions personnelles. Il le dit dans la préface et dans sa lettre, en postface, à Henry CORBIN. Ce n’est pas un livre ordinaire pour Jung, c’est un livre important … En même temps, Jung a toutes les audaces ; il apostrophe les défauts de comportement de Dieu ; il secoue l’arbre … Il se bat sur le terrain des émotions que l’homme ordinaire ressent."

« Dieu est en partie plongé dans l’inconscience. »

JUNG : "L’attitude dissociée de Yahvé qui, d’une part, piétine sans scrupule la vie et le bonheurs des êtres humains mais qui, d’autre part, doit les prendre comme partenaires, les place dans une situation intenable. Yahvé se conduit en effet de façon déraisonnable, à l’image des catastrophes naturelles et d’autres désastres imprévisibles, tout en voulant être aimé, vénéré, adoré et loué pour sa justice. Il réagit avec susceptibilité à la moindre parole qui laisserait entrevoir la critique la plus légère, et il ne se soucie pas de son propre code moral, quand ses agissements sont incompatibles avec les clauses qu'il a édictées." Citation extraite de REPONSE à JOB, p. 60

« Le livre de JOB a présenté une belle révolution par rapport à la logique de la rétribution. La THEOLOGIE DU PROCESS proposera une révolution encore plus iconoclaste que celle de JOB … Pendant deux mille ans de foi chrétienne, toutes les théologies partageaient la même évidence : Dieu, le créateur de l’univers, est tout puissant, éternel, immuable et impassible … et personne, ou presque, n’en doutait … Puis soudain, un mathématicien, Alfred WHITEHEAD (1841-1947), jette un énorme pavé dans la mare : Dieu créateur n’est ni tout puissant, ni immuable, ni impassible. Au contraire Dieu vit et donc Il change : Dieu est vivant, évoluant, sensible, relationnel. De même que l’univers change à chaque instant, Dieu change lui-aussi … D’autres théologiens ont suivi : John COBB (né en 1925), Charles HARTSHORNE (1898 – 2000) ou André GOUNELLE (né en1933) et Raphael PICON (1968-2016) en France … Tout l’univers est en évolution, chaque vivant est en évolution et Dieu aussi … Le créateur accompagne sa création, Il évolue avec sa création … Une interaction permanente que nous pouvons appeler l’Amour, l’Amour entre nous trois, Dieu, l’univers et nous … Dieu n’est pas le Tout-puissant, c’est le Dieu Tout-aimant … C’est sans doute ce que Job espérait de Dieu … »

« JUNG parle de l’image de Dieu en l’homme et non d’un Dieu transcendant … Job trouve un avocat, un défenseur, en la personne de la Sophia, la Sagesse éternelle de Dieu … Pour Jung, il y a coexistence des opposés au sein de la figure divine ; Dieu contient toutes les contradictions possibles et Jung sait que cela se détend ensuite, par un troisième terme supérieur, un principe organisateur supérieur qui permet d’organiser les aspects positifs et négatifs de la personne divine … Pour Jung, le livre de JOB prépare le mystère de l’incarnation. »

« Tout au long de sa vie, Jung cherche un dialogue avec les théologiens. »

« Je pense que les traces des courants théologiques dans la correspondance de Jung n‘ont pas encore étés complètement vues, perçues, analysées par les jungiens … d’où notre émission pour essayer de trouver des pistes d’éclairage et resituer Jung dans son époque. »

« Que peut apporter le principe féminin à un Dieu qui évolue ? En lisant bien la Genèse dans la Bible, on s’aperçoit que l’Adam n’est pas « monsieur Adam » mais c’est l’être humain et que l’être humain, à l’image de Dieu, est homme et femme. La figure humaine est en deux … La figure de Dieu n’est pas exclusivement masculine et la figure de l’Adam n’est pas masculine. »

« Jung parle de l’assomption de la Vierge Marie et des noces mystiques, entre le Christ et la Vierge, entre l’Epoux et la Vierge, le Christ et l’épousée … »

« Dans l’église catholique, la Vierge Marie est presque plus présente que le Christ ; on prie davantage la Sainte-Vierge plutôt que le Crucifié … Il s’est réellement passé quelque chose il y a deux mille ans : quelqu’un qui s’appelait Jésus apparemment, qui a vécu ce qu’il a vécu et qui a donné les conséquences qu’on peut voir. Ce n’est pas UN des TROIS de la trinité. Il n’y a pas de trinité ; il y a un créateur qui est un vis-à-vis pour nous : on a besoin, sans doute, d’intermédiaires, mais il n’y a pas - en plus – un Christ et – en plus – un Saint-Esprit. On n’a pas besoin de sanctifier abusivement deux autres éléments de la trinité … La trinité, c’est intéressant parce que ça met de la communication et du mouvement à l’intérieur de la divinité … Donc, il ne faut pas jeter la trinité mais il ne faut pas y croire … »

« La « trinité-conversation » nous la gardons mais la « trinité éclatée » en trois missions qui courent chacune dans leur coin, nous ne la gardons pas. »

« Jésus-Christ est considéré par tous les chrétiens comme étant Dieu, Fils de Dieu … Je crois que cet homme, Jésus-Christ, a été entièrement rempli de la divinité, qu’il s’est totalement donné à elle comme aucun autre homme sans doute, mais ce n’est pas une divinité. »

« Jung est à fond sur le mystère de l’incarnation … Pour Jung, l’incarnation est le stade d’après Job … Et puis, le stade d’après, après le départ du Christ – Jung le dit très bien dans REPONSE à JOB – c’est l’annonce que le Paraclet sera en permanence présent à côté des hommes pour les accompagner. »
« Dans REPONSE à JOB, Dieu, par la confrontation avec Job, va comprendre quelque chose, va prendre conscience de quelque chose, va avoir envie de se rapprocher de sa créature … ça donnera l’incarnation du Christ … et ensuite le Saint-Esprit, le Paraclet, va être l’occasion pour l’homme de se remplir lui-même de Dieu dans une relation qui n’est plus une confrontation. »

« JUNG garde toujours ce sens du mal, ce sens de l’ombre qui n’est pas très fréquent dans les églises, catholiques ou protestantes … Jung s’acharne à déboulonner un aspect de Dieu, la « privatio boni ». Jung ne croit pas cela ; il pense que le bien et le mal sont dans une danse des opposés en permanence … Jung dit : Dieu contient aussi du mal … Et l’homme doit aussi traverser toutes les contradictions lui-même, la boue, la puanteur vers plus de conscience. Il y a chez Jung l’idée que la coexistence des opposés est une clé fondamentale de l’homme et de la conscience humaine et, par-là, de l’image divine aussi … Avoir conscience est essentiel pour Jung pour évoluer soi-même, en même temps que Dieu est en train d’avoir un process évolutif.»

« Si tu sais ce que tu fais, tu es béni ; si tu ne sais pas ce que tu fais, tu es maudit. » Citation extraite de l’Evangile apocryphe de Thomas

« Dieu créateur laisse la liberté à la création … Le mal est la nécessité pour qu’il y ait liberté. Il ne peut pas y avoir liberté et responsabilité s’il n’y a pas moyen d’avoir le contraire. »

« Jung considère que chaque archétype peut basculer dans une figure positive et bienveillante et peut aussi basculer dans une figure négative … Pour Jung, cette bascule est constante, on n’arrive jamais à l’évacuer … Il croit qu’on peut être conscient, arriver à passer à un stade supérieur et reconnaître un principe organisateur – qu’il appelle le SOI – mais qu’on peut aussi appeler Dieu, créateur de l’univers. »

« Le livre de Jung est une réflexion et un témoignage. Dans son livre, il n’y a pas de dogmatisme …. La théologie est un questionnement, une interprétation, un éternel questionnement par rapport à Dieu et à l’histoire des hommes … Il n’y a pas de fondamentalisme dans REPONSE à JOB. »

Conseils de lecture

Réponse à JOB par Carl-Gustav JUNG - Editions La Fontaine de Pierre

Dieu obscur. Cruauté, sexe et violence dans l'Ancien Testament par Thomas RÖMER - Editions Labor et Fides -------- https://www.college-de-france.fr/chaire/thomas-romer-milieux-bibliques-chaire-statutaire

Le dynamisme créateur de Dieu, essai sur la Théologie du Process par André GOUNELLE - Editions Van Dieren ---- https://museeprotestant.org/notice/la-theologie-du-process/

Penser Dieu aujourd'hui, un regard protestant par Jean-Paul-MORLEY - Editions Olivétan

La douzième ânesse et autres brèves histoires pour rire et réfléchir rassemblées par Jean-Paul MORLEY et illustrées par Cécile GUINEMENT - Editions Olivétan

Dieu et le monde par John B. COBB - Editions Van Dieren

Le Christ à la croisée des religions par Raphaël PICON - Editions Van Dieren