Marie dans le tableau
Invité : Brigitte ALLAIN-DUPRE
2021/04 - Avril
Le propos
Brigitte Allain-Dupré, psychanalyste jungienne et membre honoraire de la SFPA, partage sa réflexion de long terme sur la figure de Marie dans l’imaginaire des peuples de différentes cultures, et en particulier dans l'imaginaire occidental.
« Aucune figure féminine n’a autant imprégné la culture occidentale que celle de Marie, la mère de Jésus. Et pourtant, c’est une femme très peu connue. » constate-t-elle.
Dans une forme de neutralité religieuse, Brigitte Allain-Dupré observe ce que la figure de Marie éveille de rêveries, d’émotions, de pensées en particulier à la contemplation des peintures de la Renaissance. Ayant longuement travaillé ce fond culturel universel, Brigitte Allain-Dupré est ainsi capable de mettre concrètement en relation des situations vécues par certaines de ses patientes avec les si-diverses représentations de Marie dans l’iconographie.
L’émission est l'occasion de sentir comment l’approche jungienne permet à nos psychés de se ressourcer et se comprendre au contact des images de l’inconscient collectif.
Des phrases clés
« Aucune figure féminine n’a autant imprégné la culture occidentale que celle de Marie, la mère de Jésus. Et pourtant, c’est une femme très peu connue … Autour de son image s’est tissée une multitude de croyances, de légendes, de miracles qui en font une figure extrêmement riche dans l’imaginaire des peuples de différentes cultures, en particulier occidentales. »
« Pour moi, la contemplation de son image est une expérience dont je considère que le plan spirituel, culturel et le plan psychique se confondent. »
« Jung a été inspiré par cette image qui trouve sa place dans ce champ d’expression de l’inconscient masculin et de l’inconscient collectif quasiment universel. »
« Marie représente un mystère. Dans la tradition chrétienne, elle est élue pour être la mère de Dieu-fait-homme. Mystère également de sa supposée virginité qui renvoie à une forme de perfection ou à une dimension de pureté … ET dans la culture, Marie véhicule aussi une image de femme au sens le plus populaire car elle n’a pas d’identité humaine définie. Son image autorise toute forme d’amplification et d’appropriation, aussi bien sur le plan religieux que sur le plan culturel. »
« JUNG : « La mère correspond à l’Anima virginale qui aime mais n’est pas tournée vers le monde extérieur, et par conséquent, n’a pas été corrompue par lui. Elle est tournée vers le soleil intérieur, l’image de Dieu, autrement dit vers l’image du Soi. »
« Comment les protestants parlent-ils de Marie ? Deux pasteurs témoignent, Antoine NOUIS et Anne-Laure DANET, dans un article du journal Réforme, en date du 19 janvier 2021 : Marie est la mère de Jésus-Christ, une jeune-fille humble, « une pauvre ordinaire » et c’est une icône de la Grâce de Dieu. Elle nous fait comprendre que la Grâce de Dieu est pour chacune et pour chacun … Elle est aussi celle qui accueille totalement cette Grâce … « Je suis la servante du Seigneur. Que tout se passe comme tu me l’as dit. LUC 1, v. 38. » … Les critiques protestantes viennent après les premiers réformateurs, surtout à partir du XVIIIème siècle. Elles portent sur « la dévotion mariale » qui joue un rôle très important dans la piété catholique. Les protestants rejettent aussi le dogme de « l’immaculée conception » (XIXème siècle). »
« En réaction à la Réforme protestante, le Concile de Trente (du nom de Trento, une ville du nord de l’Italie) au XVIème siècle va orienter la représentation religieuse des corps de façon beaucoup plus explicite, sexuellement plus différenciés par rapport aux représentations byzantines des premiers siècles … La grossesse de Marie reste entourée d’un voile pudique, on ne montre qu’un de ses seins en tant que mère allaitante alors que l’enfant Jésus est explicitement sexué avec son sexe surexposé. Il s’agit, pour les peintres, de se soumettre à la censure religieuse et culturelle qui est très forte à propos du corps féminin … On voit que l’hyper-représentation de Marie dans l’art censure, en même temps, son être-femme au profit de son être-mère, comme si les deux dimensions étaient séparables. »
« Dans l’Eglise du Moyen-Âge, avant le Concile de Trente, les croyants étaient représentés dans « le sein d’Abraham ». Il fallait qu’un élément du corps exclusivement féminin, le sein allaitant, soit porté par un homme pour signifier cette protection généreuse et contenante, qui est dispensée par l’Eglise comme un utérus de vie … En termes jungiens, Marie est cette image archétypique de la Grande Mère dans son aspect de mère toute bonne, ce qui n’empêche pas de la représenter aussi en tant que Mater Dolorosa (représentations très nombreuses dans la peinture espagnole). »
« Dans la culture française, les appellations « Notre Dame », « Sainte Mère », « Bonne Mère » nous montrent que la figure de Marie-mère de Jésus-Christ -dans sa composante strictement maternelle – occupe, dans l’inconscient collectif comme dans notre imaginaire personnel, une place profondément liée à la culture judéo-chrétienne et, probablement, beaucoup plus qu’à un engagement dans la foi. »
« Cette figure de Marie est profondément liée à mon travail d’analyste d’enfants … et j’ai entendu beaucoup de « Nativités » et la « grande Nativité », celle de Jésus, est aussi particulièrement éclairante. »
« Pour donner du sens à ces Nativités des peintures de la renaissance, il est important de s’y arrêter calmement et longuement pour se laisser imprégner par quelque chose qui est représenté. On verra que les Hollandais et les Italiens ne racontent pas les choses de la même manière. »
« Nous laisser surprendre par de nouvelles perceptions. »
« Ma lecture est iconoclaste : elle tisse ensemble deux registres que l’Eglise a fondamentalement dissociés. D’un côté, Marie l’héroïne est prisonnière du mythe chrétien de la maternité exclusive ; de l’autre côté, Marie comme femme ordinaire de tous les temps. »
« On n’a pas idée de la façon dont une société entière attendait profondément l’arrivée du Messie. On imagine mal aujourd’hui que toutes les jeunes filles pubères de Judée-Samarie rêvaient d’être la mère du Messie que tout le monde attendait … Pourtant le moment fort de l’attente, c’est la grossesse, qui est très rarement représentée dans les peintures - alors que la grossesse est un moment de profond remaniement psychique. »
« L’enfant divin est une figure archétypique qui contient deux énergies antagonistes : l’immense vulnérabilité du bébé et en même temps l’immense potentiel de renaissance … Dans les scènes de Nativité, Marie, mère dépossédée de son enfant, car l’enfant Jésus n’a pas besoin de ses parents pour déployer son projet de réalisation … Une mère dépossédée de sa maternité avec parfois les traits d’une passivité éteinte, comme si Marie n’avait, narcissiquement, rien à voir avec cette petite merveille qu’elle tient dans les bras … »
« Comme ces femmes récemment accouchées, que j’ai rencontrées dans ma pratique, et qui ont développé une grave dépression ; un grave mouvement de retrait au moment où leur enfant est né ; quelque chose de plus intense que le « Baby Blues » que l’on sait maintenant bien identifier et qui déjà est pourtant parfois si douloureux. »
Conseils de lecture
Les souffrances de Pinocchio, PMA et transmissions par Brigitte ALLAIN-DUPRE - Editions Le Martin Pêcheur
Voir le tableau de Piero della Francesca " La conversation sacrée" représentant une Marie déprimée https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Conversation_sacr%C3%A9e
Voir le tableau de Piero della Francesca représentant Marie enceinte de l'enfant Jésus https://fr.wikipedia.org/wiki/Madonna_del_Parto_(Piero_della_Francesca)
En tenue d'Eve, féminin, pudeur et judaïsme par Delphine HORVILLEUR - Editions Grasset
La Vierge, femme au visage divin par Sylvie BARNAY - Editions Gallimard
Introduction à l'essence de la mythologie par JUNG et KERENYI - Editions Payot