L’œuvre de Marie-Louise von FRANZ
Invité : Chantal DELACOTTE
2023/04 - Avril
Le propos
Marie-Louise von Franz a élaboré une œuvre importante et singulière tout en étant l’une des plus importantes collaboratrices de Jung. Est-ce parce qu’elle fut une femme, qu’elle est moins connue ? Psychanalyste, linguiste hors pair et spécialiste d’alchimie, elle participe à la création de l’Institut Jung à Zürich où elle enseigne.
Chantal Delacotte, fondatrice en 2004 de l’association « Autour de Marie-Louise von Franz » nous présente l’œuvre de cette personnalité fondatrice de la psychologie analytique. Chantal Delacotte est aussi membre du comité de lecture des Editions Le Martin-Pêcheur, Domaine jungien.
Des phrases clés
« Quand j’ai lu – Ma Vie, Souvenirs, rêves et pensées de Jung – j’ai vraiment eu l’impression de rencontrer quelqu’un et une pensée qui m’était familière … et un sentiment très joyeux avec l’impression de rencontrer une famille spirituelle. »
« Je suis allée puiser des enseignements à SAVOIR PSY et aussi à l’ITREC (cet institut qui n’existe plus avait comme professeurs Michel CAZENAVE, Annick DE SOUZENELLE, Christian JAMBET) ainsi que les conférences de la rue Las Cases à Paris où j’ai rencontré Pierre SOLIÉ, un esprit très original qui a beaucoup actualisé la pensée jungienne … Pierre SOLIÉ fait partie des personnes qui m’ont le plus apporté … Marie-Louise von FRANZ arrive plus tard dans mes découvertes. Elle m’a apporté beaucoup quand j’ai commencé à la fréquenter. »
« En 2004, un cumul d’événements très improbables, à une époque je travaillais encore à l’université française … Est arrivé un événement et une série de phénomènes de synchronicité se sont ensemble cumulés et ont joué un rôle … je me suis mise à lire Marie-Louise von Franz et ça a été une révélation … J’ai compris à quel point elle était une extraordinaire pédagogue de la pensée de Jung, combien elle m’ouvrait de pistes … Peu de temps après, je me suis entendu dire « et si on créait une association autour de Marie-Louise von Franz ?" Nous étions trois, dont Milaïa, et nous avons créé l’association dans un mouvement dynamique qui nous portait … et à partir de là, j’ai rencontré des gens qui avaient connu Marie-Louise von Franz … on me donnait des adresses, c’était inouï les choses se faisaient toutes seules … nous avons fait, Milaïa et moi, des voyages en Suisse pour rencontrer des gens qui avaient connu Marie-Louise von Franz et nous avons été merveilleusement accueillies alors que nous n'avions aucune légitimité. »
« La fondation pour la psychologie jungienne, que Marie-Louise von Franz avait créé elle-même en 1974 et dont actuel président s’appelle Hansueli ETTER (un ancien élève, ancien analysant et maintenant analyste) ... Hansueli habite la maison de Marie-Louise ; il est le gardien de l’immense bibliothèque de Marie-Louise, qui est magnifique. »
« Aujourd’hui, l’association que j’ai créée s’appelle « Marie-Louise von FRANZ et Carl-Gustav JUNG ». Maintenant, ils sont réunis à égalité dans cette association. »
« La SIGMUND FREUD Université à Paris : c’est une université autrichienne qui délivre des titres de licence et master. La première filiale fut créée à Paris en 2006. Dans l’enseignement, la plupart des grands penseurs de la psychanalyse sont présents et l’originalité, c’est que les deux directrices fondatrices – à Paris – sont d’origine jungienne. Et il y a donc un Pôle jungien dans cette université à Paris, ce qui est une originalité puisque Jung est absent de l’université publique en France. Ce qui est original aussi, c’est que l’enseignement n’est pas que théorique ; il y a du théorique et de l’expérimental (analyse des rêves, étude des symboles) pour que les étudiants soient de futurs praticiens. Il y a aussi un département qui s’appelle SFU Solidaire – en partenariat avec le réseau Emmaüs de la Fondation Abbé Pierre – et qui propose des séances de thérapie (évidemment « bon marché ») à des personnes en difficulté économique et en difficulté à l’intérieur d’elles-mêmes ET, en contrepartie, les étudiants de master ont la possibilité d’une première prise en charge thérapeutique sous supervision d’une équipe de professeurs. J’ai quitté l’enseignement à la SFU depuis 2022 ; j’avais succédé, en 2013, à Michel CAZENAVE. »
Marie-Louise von FRANZ : "La pensée symbolique est une façon aimante de comprendre une lumière qui ne fait pas fuir le dieu Eros. »
« Marie-Louise von FRANZ a eu une enfance compliquée, née en 1915, d’une famille autrichienne qui a été très bousculée … tout au long de sa vie, son attachement inconditionnel à Jung qu’elle idéalisait au point de refuser tout esprit critique à son égard … elle ne se maria pas … Jung a affirmé à Marie-Louise que son destin était spirituel … sa voix devenait très triste et son regard devenait très terne quand elle confiait ce renoncement au mariage à ses amis intimes … plusieurs fois, elle a eu l’occasion de se marier … il y a eu un déficit d’analyse du transfert et contre-transfert entre elle et Jung sur cette question du mariage …elle est morte avec, dans sa main, une précieuse petite grenouille chinoise -symbole de résurrection – et qui lui venait de Jung : on voit que même au moment du passage de la mort, elle était encore en lien avec lui … on sait très peu de choses de l’intimité de Marie-Louise et Jung dans la mesure où ils ont détruit, l’un et l’autre, la correspondance qu’ils ont eue toute leur vie. »
« Sa formation intellectuelle : dès l’enfance, elle a révélé des qualités exceptionnelles avec une mémoire phénoménale. C’était une étudiante pauvre qui a dû travailler pour payer ses études. Elle était bonne dans toutes les disciplines et a choisi un cursus en philologie-histoire-littérature-humanités classiques (latin et grec) car elle espérait y trouver une vérité … elle est devenue Docteur en philologie. Sa connaissance, particulièrement du latin, lui a permis un travail approfondi sur les textes alchimiques et ses capacités scientifiques ont été très importantes ; elle a souvent servi d’intermédiaire dans le dialogue entre Jung et Wolfang PAULI, prix Nobel de physique et pionnier dans les recherches quantiques. »
« En 1934, sa rencontre avec Jung fut le moment clé de sa vie. Elle était une lycéenne d’à peine 18 ans el Jung avait 58 ans. Elle est allée chez Jung avec d’autres camarades car Jung avait demandé à mieux connaître la jeunesse … Elle était très déprimée et a eu le désir d’entrer en analyse avec lui, mais elle n’avait pas d’argent … Jung a proposé un troc de compétences (analyse/ traduction de vieux manuscrits alchimiques écrits en latin) … aujourd’hui, cela semble un étrange marché mais à l’époque le protocole de relation entre analysant et analyste n’était pas très bien ficelé … En 1950, elle quitte son poste de professeur de lycée pour entrer à l’Institut Jung de Zürich pour une très belle carrière d’enseignante, de conférencière et de chercheuse … Jung l’a aussi beaucoup poussée à une fonction d’analyste … Elle est devenue analyste didacticienne en 1956 (à 41 ans) puis une grande analyste. »
« Marie-Louise a témoigné sur SA PRATIQUE d’ANALYSTE. Elle avait l’habitude de dire que la pire névrose est de dire que la vie n’a pas de SENS – ce qui est un des grands problèmes de notre époque … Elle privilégiait l’analyse des rêves pour, disait-elle, « une rééducation du rationalisme » … En séance, elle privilégiait aussi l’amplification à partir d’un conte merveilleux ou d’un récit mythologique en écho avec le rêve ou la problématique du patient. »
« Elle donnait souvent l’exemple de José ZAVALA (que j’ai rencontré aussi), un mexicain qui piétinait dans son analyse rêvait d’une pierre d’obsidienne qui le poursuivait en roulant sur une pente. Marie-Louise lui dit « mais, nom d’un dieu, qu’est-ce que vous avez à faire avec le Dieu TEZCATLIPOCA. Car, vous savez, l’obsidienne c’est le symbole du Dieu TEZCATLIPOCA. » Puis, José ZAVALA a fait le lien avec ses origines aztèques (qu’il niait car il était immigré) et est devenu un des spécialistes de la mythologie aztèque. Et Marie-Louise concluait ; « Tout est venu par ce rêve, totalement archétypique, de cette pierre d’obsidienne qui le hantait et le rêve lui disait : les dieux de tes ancêtres te hantent. »
« Marie-Louise von FRANZ mettait son énorme culture au service de son patient. »
« Marie-Louise von FRANZ utilisait aussi l’IA – Imagination Active – plus tard dans l’analyse. Elle disait « Oh ! Il faut y aller doucement avec l’imagination active parce que c’est plein d’électricité ! ». Elle y voyait le meilleur moyen pour le patient de vivre la fantaisie créatrice qui allait lui permettre de déboucher et peut-être de trouver SON mythe. »
« Elle relativisait beaucoup le rôle de la communication verbale en séance – ce qui est original pour une psychanalyste – elle disait : « le langage est une partie importante mais ce n’est pas le tout de la thérapie". L’originalité de Marie-Louise était de donner un très grand rôle au langage du corps ; elle était pionnière, précurseure. La modulation de la voix de son patient était, pour elle, un fil conducteur. »
Marie-Louise von FRANZ : « La thérapie est un art. »
L’œuvre de Marie-Louise von FRANZ est MULTIFORME ET COHERENTE : son travail d’interprétation des contes de fées, son apport à l’étude des phénomènes de synchronicité et le cœur de son œuvre, ses recherches sur l’alchimie. »
« LA SYMBOLIQUE DES CONTES DE FEES : son travail a été pionnier. En 1935, elle a 20 ans quand elle rencontre Hedwige von Beit qui lui propose de collaborer à un ouvrage sur la symbolique des contes. Marie-Louise a consacré 9 ans d’études et d’enquêtes à cet ouvrage. Marie-Louise approfondit notamment le problème du mal et l’archétype du féminin dans les contes. »
Marie-Louise von FRANZ : « Les contes de fées sont une invasion de l’inconscient collectif » « Les contes de fées sont une anatomie comparée de la psyché collective, c’est le squelette nu de notre psyché. » « L’interprétation des contes de fées est un art mais aussi un métier qui a besoin de pratique et d’expérience. »
« REFLEXIONS SUR LA SYNCHRONICITE : La synchronicité, ce sont ces étranges moments où un événement extérieur, apparemment fortuit, entre en correspondance avec un ressenti intérieur et que sa bouleverse la vie de la personne qui en fait l'expérience. … L’expérience de la synchronicité de Marie-Louise quand elle a 18 ans (son rêve de la pharmacie avec l’eau de la vierge). Cette synchronicité l’a propulsée dans sa vie et dans la traduction des grimoires d’alchimie. »
« L’ALCHIMIE : C’est la traductrice des textes d’alchimie en collaboration directe de Jung. Il y a là une proximité personnelle et intellectuelle de MLVF et de CGJ. L’alchimiste se penche sur un thème central des recherches de Jung et de von Franz, c’est-à-dire le dualisme : Matière/psyché – Corps/esprit – Conscient/inconscient. Les alchimistes de haute vie spirituelle cherchaient à dépasser ce dualisme. »
« JUNG disait de Marie-Louise von FRANZ qu’elle était sa soror mystica. »
Conseils de lecture
Fondation pour la psychologie jungienne - présidée par Hansueli ETTER https://www.stiftung-jungsche-psychologie.ch/startseite
Femmes autour de Jung par Nadia NERI - Editions Cahiers Jungiens de psychanalyse
La légende du Graal par Emma JUNG et Marie-Louise von FRANZ - Editions La Fontaine de Pierre
Symbolik des Märchens (4 tomes) par Marie-Louise von FRANZ (et Hedwig von Beit) - Editions Stiftung für Jung'sche Psychologie
Nombres et temps, Psychologie des profondeurs et physique moderne par Marie-Louise von FRANZ -Editions La Fontaine de Pierre
Aurora Consurgens, Le lever de l'aurore (3ème tome de Mysterium Conjunctionis) par Marie-Louise von FRANZ - Editions de La Fontaine de Pierre