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Le livre Rouge de Jung (2) : l’inconscient collectif

Invité : Bertrand EVENO

2020/11 - Novembre

Le propos

Bertrand Eveno, éditeur du fac-similé du Livre rouge de Carl-Gustav Jung, vient nous parler de l’inconscient collectif, un concept clé de la psychologie analytique.

Quelles sont les caractéristiques de l’inconscient collectif ? De quel type est la puissance archétypale et comment y faire face ? A travers des exemples et avec Jung, Bertrand Eveno nous guide et nous raconte une autre dimension de l’histoire de l’humanité.

Des phrases clés

« L’inconscient collectif est transpersonnel, réel et composé d’archétypes. »

« L’inconscient est réel, ce n’est pas un fantasme ni une création du sujet … L’inconscient collectif est transpersonnel. En simplifiant Freud, il existe des contenus psychiques présents dans le sujet et refoulés à une certaine période, qui restent refoulés mais qu’on peut sortir de ce refoulement. C’est la conception du sac-à-dos-arrière. Pour Jung, bien sûr il y a cela ET il y a des rêves transpersonnels et des rêves archétypiques (où arrive un message qui ne concerne pas le sujet qui rêve, mais qui peut concerner sa vie dans le futur, son entourage, la société dans laquelle il vit, soit carrément l’histoire du monde : c’est le cas du rêve de l’Empereur romain Constantin Ier, avant la bataille du Pont Milvius, qui est placé sous le signe du Christ.) … Enfin, dans l’inconscient collectif, les archétypes prennent plusieurs formes, ils ont des visages. James Hillman parle d’un pandemonium d’images … Comme une foule de poissons dans un aquarium … »

« La grosse difficulté, c’est de parler de l’inconscient. Nous savons ce qu’est la conscience … Mais comme dans un iceberg, 10% émerge et 90% sont dans les profondeurs de l’eau … Qu’est ce qu’une mouette survolant un iceberg connaît de l’inconscient ? rien ! La surface de l’eau fait écran … Toute la difficulté de la pensée de Jung, c’est de dire quelque chose de l’inconscient alors qu’on est incapable de le connaître vraiment dans toute son ampleur et dans toutes ses nuances. »

« Dans le pandemonium des images qui constituent la réserve des archétypes que nous possédons tous, en nous, les archétypes peuvent être à l’état latent ou activés ou constellés … Comme dans un ciel de nuit, une étoile devient brusquement brillante, certains archétypes brusquement deviennent miroitants comme les étoiles, voire explosifs et nous sautent à la figure … »

« L’archétype saisit sur le plan personnel ou sur le plan collectif … Quand il saisit sur le plan collectif, l’épidémie va très vite et elle touche beaucoup de monde … Un archétype est paradoxal, il a un côté ombre et un côté lumière, un côté noir et un côté blanc. Au contact d’un archétype, nous sommes dans un rapport qui devient tout de suite intense ; c’est non seulement de la pensée mais également de l’émotion. Il est extrêmement difficile de résister à un archétype, comme face au Kraken, la bête des profondeurs de certaines mythologies … Mais, ce que l’on peut faire, c’est réfléchir sur, être de conscient de, essayer de comprendre ce qui est en jeu, ce qui se dit là pour engager comme une discussion, une confrontation (une Auseinandersetzung) pour ne pas être emporté comme un fétu de paille par un courant … Dans ce dialogue, il y a une responsabilité morale à assumer, pour soi et pour les autres. »

« En 1914, après la déclaration de la guerre et lors d’un voyage en train, Jung avait été frappé de voir que les Allemands étaient heureux d’entrer en guerre. Une ambiance de fête, de noce partout … La contamination psychique était énorme … Et du côté français aussi … »

« Jung est un penseur culturel de la société globale avec sa dimension historique, avec l’échelle des temps. »

« Un premier tournant le fascine. Pourquoi, à la fin de l’Antiquité, le christianisme a-t-il si bien réussi ? … Il applique sa méthode de l’amplification en comparant les mythes, pour faire miroiter les événements les uns par rapport aux autres, pour avoir toujours plusieurs regards face à des phénomènes paradoxaux et contradictoires. »

« La Réforme est un autre moment pivotal en 1500. L’humanité occidentale fait un tour sur elle-même et prend une autre direction, avec le rôle très important des protestantismes et l’arrivée aussi de la rationalité des Lumières … L’archétype de l’examen personnel et de la raison consciente … Pour Jung, le fait que la société occidentale a développé pendant 500 ans la rationalité technique, pensante, théologique, fait que nous sommes maintenant très unilatéraux. Nous avons basculé d’un côté, donc l’autre côté est très inconscient … Il y a là quelque chose à rétablir. »

« La notion de pivot, de bascule, de retour sur soi, de Metanoïa … On peut renaître (paraboles de la Samaritaine ou de Nicomède, conversion de Paul). En arrière-plan de la pensée de Jung, il y a l’idée des opposés contradictoires qui cohabitent… C’est très inconfortable pour soi (rencontre avec l’Ombre) et dans la relation aux autres et à la vie … Sinon, c’est l’inflation personnelle ... Les sociétés ont une Ombre … Le puritanisme conquérant des Américains depuis les Founding Fathers a aussi une ombre (un mépris forcené pour les Indiens et les Noirs) … Le concept d’Ombre est très important pour prendre une distance, un peu kantienne, de ce que nous percevons et croyons … Certains individus qui composent une société peuvent réfléchir au fait que nous avons un côté qui n’est pas ce que nous croyons … Toute lumière a son ombre. »

« Le Siècle des Lumières, ça consiste à croire qu’on va éliminer toutes les ombres (les superstitions, les déraisons) mais on ne peut pas se débarrasser de son ombre, on peut en être conscient. »

« Dans l’inconscient collectif, il y a toute l’histoire des religions … Jung est un penseur du phénomène religieux. Il distingue très soigneusement la notion de l’existence d’un Dieu et la notion de représentation psychique de Dieu en nous (l’image de Dieu). Tous les humains possèdent en eux l’image d’un dieu de manière héritée, la capacité à imaginer ou ressentir des images de dieux qui pourront prendre plusieurs formes … En cela, Jung s’oppose aux penseurs positivistes à la suite de Voltaire et de Freud qui disent que la religion n’est qu’une illusion et qu’on peut s’en débarrasser. »

« JUNG, Lettre de 1943 sur la prière (extrait) : C’est très important la prière … elle rend réel un au-delà supposé en pensée … Elle nous fait pénétrer dans la dualité du Moi conscient et d’un obscur vis-à-vis situé quelque part, je ne sais où … Grâce à la prière, je suis encore cela, un petit milligramme d’un poids immense sans lequel Dieu aurait créé son monde en vain. »

Conseils de lecture

Le Livre Rouge de Carl-Gustav JUNG Editions de La Compagnie du Livre Rouge

Le divin dans l’homme Lettres sur les religions. Choisies et présentées par Michel Cazenave – Editions Albin Michel