L’archéologue des âmes
Invité : Viviane THIBAUDIER
2021/07 - Juillet
Le propos
Comme une archéologue de nos âmes, Viviane Thibaudier met à jour des images – les archétypes – qui, bien que souvent enfouies dans nos inconscients, sont un héritage ancestral qui nous appartient, même à notre insu. Témoin attentif de notre époque, elle nous aide à identifier, à partir d’images floutées, des repères de compréhension et d’action pour nos vies.
Viviane Thibaudier est l’auteur de nombreux ouvrages issus de son expérience clinique, de son enseignement et ses recherches ; elle est aussi traductrices d’œuvres de Jung comme "Sur les fondements de la psychologie analytique, Les conférences Tavistock", paru aux éditions Albin Michel ou "Introduction à la psychologie jungienne. Notes sur le séminaire" donné en 1925, paru chez le même éditeur.
Psychanalyste jungienne et ancienne présidente de la SFPA (Société française de psychologie analytique), Viviane Thibaudier initie, le 12 juin 2021 sur Fréquence protestante, un cycle sur Jung et le divin.
Des phrases clés
« J’ai découvert Jung par hasard et par nécessité, à la fin des années 50. »
« J’ai été élève au Collège Cévenol, au Chambon sur Lignon et, à l’époque, c’était un établissement d’avant-garde autant sur le plan éthique que sur le plan pédagogique … Il était dirigé par le pasteur Edouard THEIS … »
« Plusieurs années plus tard, j’étais mariée et mère de famille … J’ai consulté un thérapeute qui était jungien … sur les conseils du père de ma camarade qui était le traducteur de Jung en français, le Dr. Roland CAHEN … »
« J’exerce depuis plus de 40 ans … J’ai rencontré bien des êtres en souffrance, voire en détresse … C’est ce côté profondément humain qui fait que ce travail n’est pas un travail comme les autres et qu’on arrête très difficilement … On prend sa retraite entre 80 et 90 ans … C’est quelque chose qui n’en finit jamais et parfois même les gens vous recontactent 30 ans plus tard. »
« Qu’est ce que l’écriture représente pour vous ? Depuis l’enfance, l’ECRITURE a toujours été très importante dans ma vie. L’écriture, c’était un moyen d’entrer en dialogue avec mon monde intérieur, de me confier à moi-même, de m’expliquer … On pourrait presque dire, d’être mon propre analyste … Dès mon plus jeune âge, j’ai dû m’adapter à un monde qui n’était pas le mien et il n’y avait personne à qui je pouvais en parler … J’ai essayé de me le formuler, à ma manière, avec mes mots … Et, beaucoup plus tard, j’ai écrit des textes plus « techniques » pour essayer de mettre en relation la partie théorique – ce que j’avais appris – et ma pratique clinique. »
« Il faut toujours que je laisse pénétrer les choses au plus profond de moi, que je les ressente pour, ensuite, pouvoir les exprimer avec des mots … Pour Jung, c’était un peu la même chose … »
« L’immense culture de Jung, sa connaissance de très nombreuses langues et des textes anciens, lui ont permis de plonger aux racines mêmes des mots et de les reconnecter à leur sens originel et profond … Dans le Livre rouge par exemple, on voit bien que c’est l’écriture qui lui a permis d’entrer en contact avec cette part de lui-même qui était enfouie au plus profond de son inconscient … et petit à petit, il a fait émerger la matière, le roc sur lequel il va fonder toute son œuvre ... L’écriture a été un fil conducteur pour Jung, et de sa vie aussi. »
« Vous avez traduit des œuvres de Jung dont Les conférences à la clinique Tavistock de Londres, qu’est-ce que vos traductions d’œuvres de Jung vous ont apporté ? La TRADUCTION a toujours été quelque chose d’important pour moi car elle vient m’interpeler dans mes racines les plus profondes. Pour pouvoir traduire, il faut pouvoir écouter et entendre … Ma mère n’était pas française et mes grands parents n’ont jamais su parler français alors qu’ils vivaient en France … J’ai donc dû apprendre à traduire très tôt et à ma manière, traduire ce qu’ils disaient et ce que je voulais leur dire … J’ai toujours traduit avec mes sentiments et mes émotions et pas avec ma rationalité … Je ressentais ce qu’ils disaient, et bien qu’irrationnel, on se comprenait … Cette expérience de première traduction m’a permis de pénétrer au cœur de la langue jungienne et je m’y suis laissée tomber pour la ressentir, la comprendre en profondeur. »
« La pensée de Jung n’est pas une pensée abstraite ; c’est avant tout son expérience personnelle, qu’il a lui-même essayé de traduire avec des mots pour la rendre communicable et compréhensible par d’autres … Je crois pouvoir dire que, si on n’a pas compris ça, on ne comprend rien à Jung … Et c’est en ce sens que sa pensée est si complexe … Compte-tenu de son immense culture, il va se rendre compte que cette histoire – son histoire – ressemble à beaucoup d’autres … Et ça depuis la nuit des temps car nous sommes tous habités et mus par des images internes qui sont présentes chez tous les humains, quelle que soit leur culture. C’est ce qu’il va appeler les archétypes. »
« Ecouter et traduire, finalement, c’est aussi ce que je fais avec mes patients … Quand ils me parlent, c’est parfois comme s’ils me parlaient dans une langue que je ne connais pas, tellement ce qu’ils disent est loin de moi … Alors j’essaie d’entendre et de ressentir avec tout mon être, jusqu’à ce que cette langue me devienne accessible et compréhensible … C’est ma fonction Sentiment qui me guide et m’oriente, quelque chose de profondément humain … On improvise constamment … J’écoute la musique des gens qui sont en face de moi et qui me parlent. »
« La FONCTION PATERNELLE … Le père, c’est ce qui sert de tiers, c’est l’autre, l’altérité, la différence, la réalité extérieure … La fonction paternelle, c’est cette réalité extérieure qui peut devenir la fonction sociale, les règles, la loi, tout ce qui n’est pas du même et dans la fusion avec le corps maternel, dont nous sommes tous physiquement sortis un jour, mais dont on doit aussi, un jour, s’extraire psychiquement ...»
« Les enfants, qui n’ont pas cette fonction paternelle, ont du mal à naître vraiment. Quand le père est déficient, manquant et surtout quand il est resté lui-même psychiquement infantile et enfermé dans la Mère … C’est alors comme s’ils n’avait pas de tiers, pas d’autre, pas de loi – bref, rien de ce qui donne des limites, un cadre qui nous permet de maturer et de grandir- … Ça va donner des FILLES qui plus tard, à leur tour et dans le choix de leur compagnon, vont trouver un homme-enfant qui, à son tour, ne pourra pas devenir père … Ce qui fera qu’elles deviendront des mères toutes puissantes à leurs tours ... ou bien elles vont s’identifier à un masculin très archaïque – Animus – et elles vont devenir l’homme de la famille avec agressivité, activités à hauts risques … Les GARÇONS, eux aussi vont rester immatures, en échec scolaire par exemple et par la suite vont être incapables de s’insérer socialement, être incompétents et ne faire que déambuler dans leurs vies … Ou bien, ils vont prendre le contre-pied et surjouer leur émancipation de cette mère, avec des conduites à risques, un comportement asocial pour montrer qu’ils sont bien des hommes… »
« Lucile PEYTAVIN a mené une étude sur le coût de la virilité : en France, 92% des comportements asociaux au collège sont dus aux garçons, 86% des personnes mises en cause pour meurtre sont des hommes… Voilà ce que cela signifie quand le PERE est absent… »
« Ce que Jung appelle le RELIGIEUX, ce n’est pas ce qui émane d’une église, d’une croyance ou d’un dogme (au sens de religAre, se relier à la divinité). Jung parle du religieux (au sens de religEre, observer attentivement ce qui se présente avec une attitude qui privilégie la conscience). Pour Jung, le religieux est un monde d’images qui évoquent l’inconnu et l’ineffable. »
« Jung n’est pas un théologien, c’est un médecin psychiatre extrêmement cultivé qui s’est intéressé aux modes de pensée du monde entier, de toutes les cultures et de toutes les religions … Jung ne voulait pas croire mais comprendre ce dont il s’agissait. »
« Cette IMAGO DEI est l’assise de l’analyse jungienne. Jung donne à ce divin le nom de SOI, c’est-à-dire la totalité à l’intérieur de soi … La particularité de l’analyse jungienne est de faire émerger, en soi, ce SOI et de bien faire comprendre qu’il est à l’intérieur de soi et non pas à l’extérieur … Et de faire naître ce dialogue entre le MOI et le SOI, cet ineffable différent pour chacun. »
Conseils de lecture
L’inconscient et ses images par Viviane Thibaudier - Editions Le Martin Pêcheur
100% Jung par Viviane Thibaudier - Editions Eyrolles
Découvrir Jung, une voie thérapeutique pour devenir soi par Viviane Thibaudier - Editions Eyrolles
Le vocabulaire de Jung par Aimé Agnel et Viviane Thibaudier - Editions Ellipses
Sur les fondements de la psychologie analytique, Les conférences Tavistock par C.G. JUNG – Editions Albin Michel
Le coût de la virilité par Lucile PEYTAVIN – Editions Anne Carrière
Le village des Justes, Le Chambon sur Lignon de 1939 à nos jours par Emmanuel DEUN – Editions Imago