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« Présent et Avenir » de JUNG avec Véronique Liard

Invité : Véronique LIARD

2023/06 - Juin

Le propos

« De quoi l’avenir sera-t-il fait ? De tout temps déjà, cette question a préoccupé les hommes ; mais c’est avec des intensités variables que cette question douloureuse a fasciné leur esprit. ». Ainsi débute l’un des derniers livres écrits par Jung « Présent et avenir ».

Comment Jung analysait-il le second millénaire qui s’achevait ? Quels messages a-t-il souhaité transmettre aux générations d’aujourd’hui ?

Le professeur Véronique Liard, traductrice de l’œuvre de C.G. Jung et de celle d’E. Neumann, nous présentera « Présent et avenir ».

Des phrases clés

« Présent et Avenir, est une réflexion de Jung sur la société de masse dans un monde clivé. »

« Livre publié en allemand en 1957 puis en français en 1962. Jung, en 1916 déjà, donnait au Club Psychologique de Zürich une conférence « Adaptation, Individuation et collectivité » : il y précisait le lien qui existe entre les conditions psychologiques intérieures et les conditions extérieures. En 1928, il écrit « Le problème psychique de l’homme modern » et ce ne sont que quelques exemples … »

« L’origine de dangereux mouvements de masse de l’époque moderne résidaient selon Jung dans la scission qui s’était opérée entre le conscient et l’inconscient … Première raison de cette scission, l’évolution de la religion. Au Moyen-Âge, tout le monde était spirituellement pris en charge … Vint le protestantisme qui fit perdre les images saintes (qui étaient ‘expression de facteurs inconscients) et les rites (qui permettaient de maîtriser les forces de l’esprit) … L’influence de la science s’en est trouvée renforcée mais l’homme continuait à vivre dans un monde homogène où les deux sources de connaissance, l’une divine et l’autre naturelle, n’entraînait pas encore le conflit entre savoir et croire … Au XVIIIème siècle, les Lumières ont instauré le règne de la raison et, petit à petit, le conflit entre le savoir et la foi s’est intensifié. Progressivement, l’intellect s’est imposé et il a revendiqué son autonomie ; cet intellect a volontairement oublié l’âme et la nature qu’il pense pouvoir maîtriser … L’INTELLECT A PRIVILÉGIÉ LA PENSÉE DIRIGÉE AU DÉTRIMENT DE L’IMAGINAIRE. »

« L’époque moderne de Jung, essentiellement scientifique et technique, accordait selon lui de moins en moins de place au côté naturel et irrationnel qui fait pourtant partie de l’homme. »
« Jung était un scientifique qui mettait un point d’honneur à être empiriste. Il considérait la science comme un instrument indispensable, mais aussi comme un instrument imparfait quand il s’éloigne de son but premier qui est de servir. »

« Présent et Avenir résume bien l’analyse que Jung fait de la situation à son époque. Jung se montre extrêmement inquiet quant à l’évolution de l’individu et, par suite, quant à l’évolution du monde dans sa globalité … Présent et Avenir continue de poser des questions essentielles. »

« JUNG écrit : LA MASSE MÈNE NÉCESSAIREMENT À LA TYRANNIE AUTORITAIRE ET DOCTRINAIRE. »

« Pourquoi ? Selon lui, on ne peut faire appel à la raison, à la réflexion, à la pondération que si le potentiel émotionnel inhérent à une situation ne dépasse pas un certain niveau critique. Mais, dès que ce niveau est franchi, la raison est submergée, elle est anéantie et l’esprit critique diminue. La raison fait place alors à ce que Jung appelle une « possession collective » qui se propage à la manière d’une épidémie psychique … Sans la capacité de l’individu à réfléchir par lui-même, il risque d’être happé et neutralisé dans un groupe, dans une masse ; les facteurs individuels tendront alors à disparaître. »

« JUNG écrit : Les minorités qui travaillent dans l’ombre et menacent notre humanité et notre conscience du droit, peuvent alors venir sur le devant de la scène … Leurs idées chimériques, sous-tendues par des ressentiments fanatiques, en appellent à une déraison collective et y trouvent de fertiles alluvions. »

« Ces personnes sont porteuses de déséquilibres latents et qui peuvent contaminer psychiquement l’homme qui est réputé normal. Toutes les exigences, tous les ressentiments qui étaient jusqu’alors jugulés par la raison, l’acceptation, la résignation ou la commodité, ressurgissent. La réflexion fait alors place à des slogans et à toutes sortes de -ISMES … Pour Jung, l’extrémisme -quel qu’il soit – n’est pas la solution. Il est tout à fait dangereux que le MOI n’ait plus aucune signification pratique, que ce MOI se trouve noyé dans la conscience collective, dans la masse, alors que les contenus refoulés de l’inconscient peuvent potentiellement prendre ce caractère fanatique. »

« Plus la moralisation est grande, plus la bêtise et l’immoralité sont grandes, et plus la force s’exerce contre l’individu. La moralité d’une société est inversement proportionnelle à sa taille car plus il y a d’individus, plus les facteurs individuels tendent à disparaître. »

« Au sein de la masse, noyé dans la masse, un être qui est normalement doux et raisonnable va potentiellement se transformer en bête sauvage furieuse car il sera mû par des forces impersonnelles et donc insurmontables … Certes, l’homme de masse va être envahi par un sentiment agréable, par un sentiment d’ivresse (participation mystique) ; il va se croire en sécurité mais il va uniquement se laisser entraîner et manipuler. »

« Donc, pour Jung, il faut que l’homme prenne conscience de lui-même ; il faut qu’il comprenne qu’il est un individu vivant et non un numéro interchangeable. Il doit apprendre à se rendre compte des erreurs auxquelles il risque de succomber."

« Le citoyen doit résister au somnambulisme infantile de l’homme de masse … Il faut savoir se regarder en face dans un miroir qui ne reflète pas forcément l’image que l’on souhaiterait y voir. »

« Jung dit que L’ÂME A BESOIN D’UN PRINCIPE ORDONNATEUR mais, pour lui, ce principe n’est pas la conscience du moi, et ce n’est pas non plus un dogme quelconque qui n’est pas fondé sur l’expérience. Selon lui, la théologie est devenue rationnelle et les contenus de la religion sont devenus incompréhensibles pour l’âme moderne alors que seul un instinct religieux pousse encore à croire. »

« L’Eglise a tort, selon Jung, de condamner une compréhension SYMBOLIQUE des textes sacrés ; pour lui, le mythe est un élément constitutif de toute religion et le symbole y est essentiel. Essayer de comprendre, par le savoir et la raison, les symboles qui font appel à d’autres fonctions de l’âme ne peut se solder que par un échec. »

« Pour Jung, il conviendrait de REVISITER LE CHRISTIANISME. Selon lui, le Christianisme n’est pas périmé, ou suranné … Le symbole chrétien est une entité vivante qui porte en lui les germes de nouveaux développements … Jung reproche à l’Eglise de n’aider ni l’homme ni la société mais de ne vouloir que les contrôler : elle ne remplit pas sa mission car elle empêche l’individu de suivre le chemin du Christ qui, pour Jung, est un chemin personnel … Pour Jung, l’Eglise devrait acheminer l’individu vers la metanoïa (= renaissance en esprit), c’est-à-dire un changement de point de vue qui permet une transformation décisive. »

« Selon Jung, les objectifs de l’Eglise et de l’Etat sont comparables : les promesses de l’au-delà se sont muées en promesses réalisables dans l’ici-bas … Jung explique la déresponsabilisation partielle de l’individu par le fait que le monde moderne est régi par des statistiques qui se veulent universelles alors que, dans la réalité, ce sont les irrégularités qui prédominent généralement. Petit à petit les statistiques ont réduit l’individu au rang d’une réalité infinitésimale, d’éléments interchangeables, ôtant à l’individu sa valeur et son sens … Et pourtant, chaque individu est un être unique. L’individu se situe en marge du savoir scientifique et pourtant il se retrouve soumis à la loi des grands nombres ! … Il y a d’ailleurs quelque chose de confortable à se reposer sur l’Etat, sur le collectif politique. »

« Selon Jung, les dirigeants eux-mêmes sont des unités sociales et ils ne se distinguent que par le fait qu’ils sont des représentants spécialisés de la doctrine d’Etat. »

« Jung écrit : L’Etat n’est qu’un camouflage qu’utilisent les individus qui le manipulent ... Il y a aussi des politiciens honnêtes mais ils sont, en général, les esclaves de leur propre fiction, souvent incapables de réfléchir sur le bien fondé de certaines convictions apparemment inébranlables. »

« La masse, pour compenser ses tendances chaotiques, a tendance à engendre un chef, un Führer, qui s’érige ne demi-dieu, qui se transforme facilement en dictateur capable de tout pour assurer sa suprématie. »

« LA CONNAISSANCE DE SOI : L’homme est une énigme à lui-même ; chaque être est unique et incomparable. La psyché demeure une merveille incompréhensible. »

« L’individu doit prendre conscience de son individualité pour avoir un esprit critique … Accepter, entre autres choses, qu’on ne comprend pas une situation uniquement avec l’intellect mais qu’il faut aussi considérer l’aspect moral des choses. »

« « Jung invite à une prise de conscience du Mal, en chacun. Personne ne doit se croire inoffensif et rejeter le danger sur les autres. Personne n’échappe à l’ombre collective de l’humanité, à la noirceur de cette ombre. Chaque individu possède une imagination dans le Mal … Prendre conscience que le Mal réside dans la nature humaine et ne pas le projeter sur un « bouc émissaire » … C’est de la relation humaine que dépend la cohésion et la force d’une société libre. »

« JUNG écrit : Là où cesse l’amour commence la puissance, l’emprise violente et la terreur. »

« Le chemin est long mais une connaissance de soi est prometteuse … Jung était persuadé qu’il était nécessaire de se recontacter à son inconscient et que des possibilités dynamiques s’ouvrent à celles et ceux qui sont en quête de connaissance d’eux-mêmes et qui s’ouvrent aux ressources que recèle l’inconscient. »

« La modification mentale de l’humanité est une affaire de millénaires. On ne peut ni en retarder ni en accélérer l’évolution de manière rationnelle ; ce qu’il est possible de faire, c’est de contribuer à l’évolution … La connaissance de soi, axe de l’avenir. »

Conseils de lecture

Présent et avenir par C.G. JUNG - Editions Le Livre de poche