Jubilé pour Les Cahiers Jungiens de Psychanalyse : 50 ans d’existence !
Invité : Reine-Marie HALBOUT
2024/3 - Mars
Le propos
Reine-Marie HALBOUT, psychanalyste jungienne et superviseur, membre de la SFPA, est la présidente des Cahiers jungiens de psychanalyse qui ont été créé il y a 50 ans.
Alors que les méthodes et l’œuvre de Jung étaient peu connues en France, des psychanalystes ont décidé de se lancer dans l’aventure en créant une revue professionnelle ; Elie HUMBERT en fut le premier rédacteur en chef.
Aujourd’hui, la revue est thématique et publie deux exemplaires par an. En 2023, Esprits de la nature (N°157 paru en mai) et Brûler (N°158 paru en décembre).
Des phrases clés
À L’ORIGINE DES ORIGINES : « Il y avait le Club psychologique du Gros Caillou qui a vu le jour en 1926 qui devient en 1952 la Société C. G. Jung de Paris puis, à partir de 1957, le Groupe d’études C.G. Jung, présidé d’abord par Roland CAHEN puis par Maurice PERCHERON et sa femme, Suzanne, après le décès de son mari en 1963. Ce groupe existe toujours, actuellement coprésidé par Brigitte VIENNE et Sophie BRAUN. Ces évolutions, comme celles des Cahiers jungiens, se sont toujours déroulées dans la continuité. »
EN 1965 : « Le Bulletin du Groupe d’Études C. G. Jung voit le jour. C’est SUZANNE PERCHERON, la femme de Maurice, qui en a la responsabilité. Elle a été une analysante de Jung et le tenait informé des évocations de la pensée jungienne en France. Jung lui répond avec beaucoup d’humour « sur l’esprit français », en mars 1961, en français, pour la remercier d’un texte que son mari vient de publier sur son œuvre dans Les Nouvelles littéraires. »
EN 1974, LA NAISSANCE : « Le numéro 34 de ce bulletin, en janvier 1974, annonçait la cessation de sa parution et la naissance d’une revue, les Cahiers de psychologie jungienne, présentée comme « l’œuvre commune des différentes sociétés jungiennes de Paris et de province » … « […] Cette revue trouve son unité dans la référence à l’œuvre de Jung, ¬son faire et son dire¬ et sa diversité dans les multiples façons de l’entendre et de la poursuivre. » Elle vise également à relier « le public français aux mouvements jungiens des pays étrangers. » Le premier numéro sortira en mai 1974. L’éditorial présente le Groupe d’Études, le Groupe de recherche de psychologie analytique, la Société Française de Psychologie Analytique et son Institut de formation des analystes ; il expose en quelques pages ce qu’est la psychologie jungienne. Élie HUMBERT en est le rédacteur en chef. C’est lui qui en rédige cet éditorial. »
ÉLIE HUMBERT : « Né en 1925 à Sedan, il a grandi au sein d’une famille catholique pratiquante. Après des études de droit et de lettres, il est entré au noviciat des Carmes de Lille, à l’âge de 20 ans. 4 ans plus tard, il prononça ses vœux sous le nom d’Elie de Jésus-Marie. Son fort intérêt pour la psychologie de l’inconscient l’amena à formuler son souhait d’engager une analyse à son supérieur, LE PERE BRUNO. Ce dernier connaissait déjà Jung, avec lequel il entretenait une correspondance et qu’il avait rencontré à Küssnacht. Des projets de contribution commune à différents ouvrages avaient même été évoquée entre les deux hommes, sous l’entremise de Yolande JACOBI, d’origine juive qui s’était convertie et était devenue une fervente catholique … Le père Bruno se montre toutefois réticent et s’en ouvre à Charles BAUDOUIN (autre grande figure jungienne) avec lequel il correspondait aussi : nécessité d’avoir une personnalité solide, crainte d’une perte de foi. Élie Humbert a persisté dans sa demande : dix ans après sa prise d’habit et un an et demi après son ordination, il a finalement reçu l’autorisation demandée, courant 1957. »
« Élie Humbert a probablement été l’un des derniers patients de Jung, qui l’a beaucoup apprécié pour « son intelligence, son honnêteté et son intuition intellectuelle remarquable ». C’est du moins ce qu’il écrit au Père Bruno. Elie Humbert paracheva son analyse avec Marie-Louise von FRANZ … À propos de sa cure avec le vieux sage de Küssnacht, Élie Humbert comparait Jung à « un vieux pêcheur qui semblait ne pas utiliser de règles ; il était à l’affût du poisson afin de le trouver et de le ramener à la surface, à la conscience. » Il évoquait aussi un homme « profondément bon, mais qui ne faisait pas de cadeaux ».
« En 1960, Élie Humbert constate qu’il est au bout de son chemin de carme, au grand dam du Père Bruno qui voyait en lui son successeur à la tête de la revue des Etudes Carmélitaines, dont il avait déjà été un contributeur de grande qualité. »
« Cette même année, il s’inscrit à l’IAAP, qui est la société jungienne internationale, puis devient membre fondateur et didacticien à la Société Française de psychologie analytique, qu’il a présidé de 1976 à 1980. Élie Humbert a été rédacteur en chef de notre revue depuis sa création, en 1974, jusqu’à sa mort, en 1990 … Excellent orateur passionnant un large public, Élie Humbert est aussi l’auteur d’une œuvre considérable d’articles, de livres et resté jusqu’à aujourd’hui une figure marquante et essentielle du mouvement jungien en France. »
LE SUCCÈS : « Aux Cahiers, le succès arrive vite : dès la fin de l’année 1974, les Cahiers comptent quatre cents abonnés. En 1979, l’équipe loue un local à Paris. Les Cahiers se sont constitués en association et ont déposé leurs premiers statuts en janvier 1981, avec une différenciation qui a commencé à s’opérer entre le comité de rédaction et le bureau même si les membres de ces deux instances travaillent ensemble et sont membres du Comité de rédaction. »
« Après le décès d’Élie Humbert, en 1990, c’est Geneviève GUY-GILLET qui a repris le flambeau de la rédaction en chef. Aimé AGNEL, Christian GAILLARD et Marie-Laure GRIVET ont assumé ensemble cette responsabilité de 1994 à 2003. Martine GALLARD et Christian Gaillard puis Martine Gallard, seule, l’ont tenu jusqu’en 2010. En 2010, c’est Claire DORLY et Dominique GUILBAULT qui s’y collent, si j’ose dire, suivis par Dominique Guilbault et Laurent MEYER en 2012 jusqu’en 2016, année où Christine DALLOT et Laurence LACOUR se mettent à l’ouvrage. Depuis 2020 et jusqu’à aujourd’hui, c’est Laurence Lacour et Christian MARNETTE qui sont les rédacteurs en chef de la revue. »
« Parallèlement, à partir de 2000, la fonction de président émerge de façon plus nette. Juliette VIELJEUX (décédée récemment), Élisabeth CONESA, Claire RAGUET, Christian MARNETTE, Karen HAINSWORTH et moi-même, depuis 2019, l’ont assumée et gérée, avec un bureau, toute l’organisation de la revue tout en faisant partie du comité de rédaction. »
LES 50 PREMIERS NUMÉROS : « Ils ont abordé des thèmes clés de la pensée jungienne, parfois sur plusieurs numéros … l’ombre, l’inceste, la dépression, l’image, la grande-mère, les rêves, l’inconscient collectif, le sacrifice, la libido, la régression, les archétypes, les états-limites, le temps, le Soi et le narcissisme, le transfert, Jung et L’Orient, Jung et le nazisme ... En 1987, avec le numéro 52, la revue change de titre. Elle s’appellera désormais Cahiers jungiens de psychanalyse. L’équipe de rédaction justifie ce choix par « la conviction que la psychanalyse est une des voies actuelles de l’individuation. Le mot « psychanalyse » indique la double démarche pratiquée : analyse de l’inconscient personnel (qui comporte donc une base freudienne) et celle des processus collectifs à l’œuvre en chaque individu, qui fait du soi une réalité vivante ».
« Les réactions de certains de nos collègues freudiens ont été vives. Nous osions parler de psychanalyse à propos de la pensée jungienne ... Cette pensée pourtant, est bien une pensée de l’inconscient, du rapport du moi conscient à l’inconscient dans une dialectique qui devrait être vivante et créative mais qui ne l’est pas toujours et c’est bien le problème d’un grand nombre de patients qui nous sollicitent en tant qu’analystes. »
DES SUJETS VARIÉS : « Les premiers numéros se sont saisis des grands concepts jungiens, qu’il s’agissait de définir pour les faire connaître … Sont venus ensuite des numéros à thème, très centrés sur les apports théorico-cliniques de la psychologie des profondeurs et ses capacités à élargir le champ psychanalytique.
Parfois, l’actualité nous guide, comme par exemple à l’occasion de la publication du Livre Rouge de C. G. Jung en 2011, par Bertrand EVENO, en France, avec trois numéros des Cahiers consacrés à cet évènement majeur : le numéro 134 « Le Livre Rouge » de septembre 2011, suivi du numéro 135 « La Créativité de l’inconscient », en juin 2012, et du numéro 136 « Tours et détours de la création » en novembre 2012. Cette « trilogie » qui a réuni de passionnantes contributions, a rencontré un grand succès de diffusion."
"À d’autres périodes, c’est l’esprit du temps qui est à l’œuvre dans le choix des thèmes des derniers numéros, « Femme/Homme » sur les questions de genre en 2019, « Souviens-toi de ton futur » et « Nature(s), vivre la Terre » en 2021, qui s’est prolongé en 2023 par le numéro 157, « Esprits de la nature » ... Suite au confinement, nous avons publié le Cahier « Intimités » qui a été suivi par « Au commencement » puis par « Des fins ». Notre petit dernier, « Brûler », de l’automne-Hiver 2023 s’est retrouvé en lien avec une brûlante et terrible actualité, celle de la guerre dans différents pays ... Il me semble qu’au final, c’est la spécificité de la sensibilité jungienne, porteuse de sens et de créativité, et l’ouverture de nos préoccupations sur le monde comme il va, qui permet ce renouvellement constant et notre pérennité. »
TROIS GÉNÉRATIONS D’AUTEURS : « Ce sont au moins 3 générations d’auteurs qui se sont succédés dans les pages des Cahiers …
• La première génération, qui a souvent connu Jung, s’est attachée à poser les concepts fondamentaux de cette pensée complexe, comme nous l’avons compris tout à l’heure. Ce sont les grandes figures fondatrices de la Société Française de Psychologie Analytique comme Luigi AURIGEMMA, Roland CAHEN, Simone CLAUSSE, Henri DUPLAIX, Geneviève GUY-GILLET, Élie G. HUMBERT, Denyse LYARD, Émile ROGÉ, Monique SALZMANN, Pierre SOLIÉ et Hélène TEBOUL-WIART.
Dans ces numéros des débuts, on trouve aussi des articles de Marie-Louise von FRANZ et des textes de Carl Gustav JUNG comme par exemple dans le numéro 6, de l’été 1975, qui commence par l’éditorial de Roland Cahen sur le centenaire de l’anniversaire de la naissance de Carl Gustav Jung.
• La deuxième génération est représentée par Brigitte ALLAIN-DUPRE, Aimé AGNEL, Marie-Laure COLONNA, Claire DORLY, Martine GALLARD, Christian GAILLARD, Viviane THIBAUDIER et bien d’autres encore. Les jungiens de l’étranger sont venus progressivement enrichir la revue, via des traductions de grande qualité, permettant d’accéder aux travaux de nos collègues des différents continents.
• Les auteurs actuels représentent la 3è, voire la 4e génération, dans toute sa diversité. Les Cahiers se sont progressivement ouverts à d’autres disciplines, même si nos auteurs sont majoritairement des psychanalystes jungiens. Les réflexions d’anthropologues, de philosophes, d’historiens, de sociologues, de spécialistes de littérature et de civilisation allemande, de scientifiques et d’artistes se croisent et viennent enrichir celles de la psychologie des profondeurs. »
ICONOGRAPHIE : « Nous sommes très attentifs à l’iconographie présente dans les différents numéros. La magnifique toile de la peintre Fabienne VERDIER, qui illustrait la couverture du numéro 152, en témoigne. Au fil des numéros, dessins, peintures, photographies, installations, ponctuent les articles et incitent nos lecteurs aux échappées belles de l’imagination et du rêve. »
LE VIVANT ET LE RAPPORT À LA NATURE : « La psychanalyse jungienne appliquée au collectif offre de formidables outils pour œuvrer à comprendre notre présent et penser un avenir. »
« Jung a écrit de nombreux textes sur le rapport à la nature et au monde animal. Ces textes sont précurseurs dans de nombreux domaines : la voie de l’écologie, les questions de genre, le rapport à l’Orient, les rêves, la créativité, la recherche de sens, du sens, la place de la spiritualité. Vos auditeurs sur Fréquence protestante ont eu l’occasion de le découvrir au fil de vos rencontres avec des membres de la galaxie jungienne : psychanalystes, thérapeutes d’orientation jungienne, philosophes, anthropologues, théologiens, artistes et bien d’autres encore. »
« En 2020 et 2021, nous avons fait face à une crise d’une ampleur inédite et constaté que notre rapport à la nature avait atteint un point de rupture. La pandémie en témoignait tragiquement, avec le constat que nous avions une responsabilité commune dans le sort fait à la planète qui nous héberge et qu’il fallait nous dégager d’un anthropocentrisme mortifère … Pendant le confinement, notre comité de rédaction a continué à travailler, à distance, et s’est avancé sur plusieurs thèmes dont celui-ci. »
LA DIFFUSION : « Aujourd’hui, les moyens d’accès aux Cahiers jungiens sont nombreux, via notre site ou celui de Cairn, en format « papier » auquel nous sommes très attachés ou en format numérique pour des articles spécifiques, des numéros récents ou anciens ou des abonnements pour les deux numéros semestriels publiés chaque année … Depuis 2001, nous avons un partenariat avec CAIRN, qui n’a cessé de s’étendre … Sur CAIRN, il est possible de se procurer les articles des Cahiers jungiens en format numérique à partir du numéro 1 jusqu’au numéro 158, grâce à une numérisation récente … Cette collaboration avec la plateforme internationale CAIRN INFO élargit notre diffusion dans les pays francophones et à l’international. Elle permet à nos auteurs d’être lus dans le monde entier par les chercheurs et les étudiants intéressés par la pensée jungienne et ses développements contemporains, et à nos lecteurs d’accéder à des articles anciens et récents, à la demande. »
« Le Centre National du Livre nous soutient depuis une décennie sous la forme d’une subvention, renouvelée chaque année. Elle signe la reconnaissance de nos travaux et de la qualité de notre revue. »
« Les Cahiers jungiens sont diffusés auprès des libraires par notre diffuseur Pollen Difpop. Comme pour toutes les revues, cette modalité de diffusion se réduit. Les possibilités de commande sur notre site ou sur celui de la plateforme de diffusion Cairn deviennent des modalités de référence. »
« Nous sommes très attachés au format papier. Notre revue est aussi un bel objet, grâce à la qualité du travail effectué par notre imprimeur Isiprint, qui fait partie du groupe Estimprim. Notre collaboration date de plus de 10 ans et elle a toujours été très stimulante. Ce groupe d’origine familiale, dans la grande tradition des imprimeurs de Franche-Comté, est soucieux du respect des normes écologiques, des économies d’énergie et très attaché à la diffusion des savoirs et de la culture par le livre. »
« J’ai une pensée pour nos collèges des premières années, celles d’avant l’informatique, qui ont travaillé de façon artisanale à la fabrication des numéros. L’une d’entre elle me racontait qu’elle parcourait Paris pour porter les tapuscrits, corrigés déjà un grand nombre de fois, au maquettiste de l’époque avant que celui ne les remette en mains propres à l’imprimeur…Un autre temps ! »
ANNÉE 2024 : « Cette année 2024 sera celle des 50 ans de notre revue. Deux numéros sont déjà en gestation « Jung dans le monde » à paraître au printemps-été 2024 et « Jung en France » à l’automne-hiver 2024. Ce titre reprend d’ailleurs la première phrase de l’éditorial d’Elie Humbert en 1974. »
ÉQUIPE ET BÉNÉVOLAT : « C’est l’investissement bénévole de toute une équipe de rédacteurs, de traducteurs et de membres du Bureau qui permet, depuis plus de 3 générations, la poursuite de cette aventure exceptionnelle dans le monde de l’édition et des revues. »
« Les rédacteurs en chef ont la responsabilité de la ligne éditoriale mais dans notre comité de rédaction, depuis toujours, différentes sensibilités jungiennes cohabitent et se complètent. Nos débats sont parfois vifs, mais toujours enrichissants … Le choix des thèmes se fait de façon collégiale, les différents numéros se construisent avec une petite équipe de 2, 3 ou 4 membres ce qui donne aux anciens l’occasion de former les nouveaux … Les membres du comité de rédaction sont tous membres de la Société Française de psychanalyse mais notre association est indépendante … Une chaîne humaine qui travaille depuis 1965, depuis le Bulletin du Groupe d’études Jung, jusqu’au numéro 158 des Cahiers, c’est-à-dire depuis près de 60 ans … Œuvrer aux Cahiers jungiens de psychanalyse est une formidable aventure intellectuelle, éditoriale et humaine, elle est prenante mais vaut vraiment la peine d’être vécue … L’héritage des Cahiers ne doit pas être dilapidé, il a vocation à être transmis. »
Conseils de lecture
Cahiers jungiens de psychanalyse Abonnement et Achat à l'unité possible sur Cairnhttps://www.cairn.info/revue-cahiers-jungiens-de-psychanalyse.htm
Cahiers jungiens de psychanalyse Autre lien possiblehttps://cahiers-jungiens.cairn.info/
C.G. Jung en France par Florent SERINA - Editions Les Belles lettres