A l’Institut Jung de Zürich, les archives d’images des patients
Invité : Yury LI TOROPTSOV
2024/8 - Août
Le propos
Yury Li-Toroptsov nous fait visiter les combles de l’Institut Jung de Zürich. On peut y découvrir 40 ans d’images de patients de Jung, de Yolande Jacobi et d’autres analystes.
C’est aussi l’occasion de croiser Ruth Amman, une grande figure jungienne, spécialiste des images et de la thérapie du jeu de sable. Décédée en 2023, elle fut curatrice des archives et formatrice à l’Institut.
Des phrases clés
L’INSTITUT JUNG DE KÛSSNACHT : « C’est un lieu au bord d’un magnifique lac ; la présence de l’eau était quelque chose d’important pour Jung et on le sent dans ce « genius loci » … Je m’y retrouve trois fois par an, pendant 8 semaines, loin de ma vie normale, loin de mes habitudes. C’est un moment privilégié, hors du temps, pour se connecter avec soi et autrement avec le monde, un moment d’introspection. »
POURQUOI LA VISITE DES ARCHIVES ? « J’étais très curieux … le troisième étage de l’Institut … une petite porte avec une fenêtre très opaque … très peu de gens s’y aventurent ; nous avons de séminaires qui utilisent le matériel qui provient des archives d’images mais en reproduction … J’ai voulu voir les originaux … il y a mon intérêt de photographe … j’ai déjà fait des résidences dans des archives, par exemple sur l’île de Jersey et j’ai découvert le travail de Claude CAHUN (1894-1954) … Il y a l’image, il y a l’histoire, il y a aussi une mémoire … il y a une énergie, une émanation de la psyché qui ne vieillit pas. »
POURQUOI CONSERVER ? « Pour soutenir l’étude et l’interprétation des images et du symbolisme archétypal, donc la recherche ; longtemps ces archives n’ont pas été accessibles et étaient stockées dans des conditions difficiles ; le matériel est maintenant accessible, sur rendez-vous et en payant un droit d’accès … En 2018, a eu lieu la première grande exposition, c’est donc récent … Il y a beaucoup de choses à découvrir … La personne qui s’occupe des archives, Elisabeth LEUENBERGER est une analyste formée à l’Institut. Elle a la mission de donner cet accès au monde à ces ressources. »
UN VERITABLE GRENIER : « Il y a encore des caisses où l’on découvre … on a l’impression qu’on rentre dans une banque suisse … et il s’agit d’un matériel clinique, donc on ne voit pas les noms des patients … il y a une protection de la personne, même si elle est décédée et même si son analyste est décédé. »
LES COLLECTIONS : « 4500 images des patients de JUNG, c’est-à-dire une cinquantaine de cas cliniques (c’est le noyau) ; 6000 images des patients de Yolande JACOBI, analyste jungienne de la première heure ; des images photographiques avec des évocations archétypiques. … Les premiers dessins datent de 1917 alors que Jung était encore occupé avec son Livre Rouge … Une patiente raconte que pendant son heure analytique avec JUNG, elle voyait le Livre Rouge ouvert sur la table de JUNG et que parfois il montrait ce qu’il faisait … Il y avait donc une perméabilité de création … On voit que cela a beaucoup influencé les patients quand on regarde les éléments de composition, le choix des sujets … on retrouve des patterns, des traces de Jung … Il y avait là de l’amplification, du transfert. On sait que JUNG ne proposait pas systématiquement ce type de travail à ses patients. Cela correspondait à un stade de développement. »
ET L’ART BRUT ? « Il y a des collections d’art brut en Suisse, en Allemagne, en France … La particularité des images des patients de JUNG, c’est que les patients de JUNG n’étaient pas hospitalisés ; ils consultaient JUNG dans son cabinet à Küssnacht, ils n’étaient ni dans un hôpital, ni dans un asile, ni dans une clinique … Dans les images d’art brut des patients hospitalisés, on retrouve souvent des formes de confinement, la perte d’identité … Dans les images des patients de JUNG, on voit que c’est un autre niveau d’exploration de soi, bien sûr dans le contexte thérapeutique. »
RUTH AMMAN ; « J’ai été introduit dans la salle des archives par l’ancienne curatrice, RUTH AMMAN. C’est elle qui a entrepris des travaux pour donner une place que les archives méritaient. Elle a été en charge des archives pendant 18 ans environ … J’ai suivi un de ses derniers séminaires sur l’imagination, avant qu’elle ne décède en 2023 … Elle était une grande spécialiste de la thérapie par le Jeu de Sable et a écrit un livre important sur le sujet … Elle nous a montré des images provenant des archives pour illustrer des cas cliniques … J’ai été fasciné et ai demandé si l’on pouvait visiter les archives … RUTH nous a présenté le cas 039 (on sait que c’est une femme), c’est-à-dire une boîte pleine d’images et c’est la couleur qui a sauté … L’artiste en moi se demande comment ces images de plus de 100 ans ont gardé toute leur fraîcheur … C’est DE LA GOUACHE, ce pigment très opaque qui permet aux œuvres de traverser le temps … Il y a une fraîcheur absolue … et depuis, moi qui peins mes rêves, j’utilise la gouache ! … RUTH AMMAN est une grande figure jungienne, formée au Jeu de Sable par DORA KALFF (1904 – 1990). »
LA CREATION MANUELLE : « C’est la création manuelle qui compte pour la thérapie. Il y a un équilibre à trouver car quand on va dans un musée, ce que l’on voit est peut-être trop haut par rapport au travail de notre propre psyché … L’acte créatif est une action, ce n’est pas une position passive … La couleur est une substance hyperactive … Il y a une vibration des couleurs que l’on voit aussi très bien dans les œuvres de ROTHKO (Exposition à la Fondation Louis Vuitton, Paris d’octobre 2023 à avril 2024) … Quelques pigments projetés sur une toile plate vous projettent dans les profondeurs de l’âme, il y a une sorte de transcendance qui s’installe. »
LE TRAVAIL THERAPEUTIQUE DE JUNG AVEC SES PATIENTS : « Dans le volume 16 de ses œuvres complètes … Il disait que le but était de « produire un effet ». Formule assez mystérieuse. Je comprends que le patient devient actif à ce stade-là. Il y a un effet émotionnel et un effet intellectuel, un effet produit sur le corps et sur l’esprit … Pour JUNG, la parole est importante pour intégrer mais l’acte créatif aussi et JUNG encourageait la création. »
ET LES APPLICATION d’I.A. POUR DESSINER SES RÊVES ? « Elles existent … Elles sont une prothèse … Le travail des rêves par la psyché, c’est très lent, c’est low-tech … Ce qui compte pour la psyché, c’est le temps qu’on passe, nous-même, à choisir, à trouver, à placer. »
REGARDS SUR LES ARCHIVES DES PATIENTS DE JUNG : « Plusieurs mediums sont utilisés : peinture, dessin, collage, broderie … J’ai ouvert une boîte au hasard, entièrement consacrée aux mandalas dont une broderie magnifique … Le contenu des archives est un contenu psychoactif : après avoir regardé ces images, j’ai eu un mal de tête terrible … Que se passe-t-il ? Il y a peut-être des images qu’on ne doit pas voir … »
LE TRANSFERT SUR JUNG : « JUNG est présent dans ces images. Certaines ont, au revers, des paroles adressées à JUNG dont on sait qu’il les a vues, lues, et qu’il a prises en compte … On voit les traces de JUNG … »
ON VOIT DES SYMBOLES : « Des œufs, des serpents, des mandalas, des arbres … Mais on ne peut pas regarder une création d’une personne individuelle uniquement de manière archétypale. Il y a des compositions qui reviennent mais, derrière chaque image, il y a une vie, il y a une manifestation de la psyché qui est unique … Et on voit la patte de JUNG : il est là pour accompagner, pour diriger (le transfert) mais il donne les clés à la personne, le pinceau, pour achever cela. »
LE LIEN AVEC L’EXTERIEUR : « 1916, c’est l’année de création du mouvement DADA à Zurich et 1916, c’est aussi l’année de la création du Club Psychologique de Zurich. Ils étaient localisés à quelques rues, l’un de l’autre … Certaines œuvres de certains patients montrent l’influence dadaïste. »
ET AUJOURD’HUI, QU’EST-CE QUE CES IMAGES D’ARCHIVES PEUVENT NOUS INSPIRER ? : « Qu’il faut continuer à créer ! La création psychique est toujours low-tech … S’isoler un moment pour donner corps aux images qui viennent de notre profondeur, c’est très valorisant ! »
Conseils de lecture
Le site de Yury Li-Toroptsov https://www.toroptsov.com
Healing and Transformation in Sandplay : creative processes become visible par Ruth Amman - Editions Open Court Publishing CO, US
Sandplay, a psychotherapeutic approach to the psyche par Dora Kalff – Editions Temenos press
Le jeu de sable, une pratique psychanalytique par Cyrille Bonamy et Bernadette Vandenbrouke – Editions Le Martin Pêcheur
Les trésors des archives d'images de l'Institut Jung de Zurich (versions en allemand et en anglais) Editions Analytical Psychology Press