La bisexualité psychique
Invité : Mariette MIGNET
2023/09 - Septembre
Le propos
Il semble bien qu’actuellement nous assistons à une confusion générale entre sexe et genre, à une fusion même des deux termes. C’est une affaire complexe et le bénéfice de la période actuelle est de nous mettre au travail à propos de cette complexité.
Mariette MIGNET, psychologue clinicienne, psychanalyste jungienne et titulaire d’un doctorat de psychologie et de recherche en psychanalyse, nous parle de la bisexualité psychique.
La problématique de la bisexualité psychique n’est pas nouvelle puisque les Anciens l’ont exprimée dans les mythes comme celui d’Hermaphrodite. Nous la revisitons aujourd’hui avec une perspective jungienne.
Des phrases clés
Il me semble qu’actuellement nous assistons à une confusion générale entre sexe et genre, à une fusion même des deux termes. C’est une affaire complexe et le bénéfice de la période actuelle est de nous mettre au travail à propos de cette complexité.
Nous ne sommes plus aux siècles précédents qui ont simplifié l’identité en la rapportant au seul sexe biologique, donc en négligeant totalement le cheminement psychique et l’inscription au plan psychique du sexe biologique ; on assimilait sexe et tâches. Pourtant notre sexe ne nous assigne pas à un genre qui marquerait une place sociétale ; et si la lutte politico-sociale est nécessaire, nous avons des témoignages qui montrent que les femmes en particulier ont de tous temps exécuté des tâches réservées aux hommes … C’est peut-être moins vrai pour les hommes qui se tenaient éloignés des tâches réservées aux femmes, quoique : la cuisine – la couture, ex. le tailleur - et d’autres certainement.
Afin de mieux réfléchir à ces questions il me paraît essentiel d’approfondir la problématique psychique de la bisexualité. Bisexualité de la psyché soupçonnée par les anciens qui l’ont exprimée dans des mythes, comme celui d’Hermaphrodite, et bisexualité de la psyché comprise par FREUD et par JUNG mais traitée chacun à leur manière, ce qui est avant tout mon sujet ... A l’époque de Freud, même si la médecine avait quelques notions embryologiques, le donné physique se basait sur la vue du sexe à la naissance : « c’est une fille » ou « c’est un garçon » est-il annoncé. Nous avons la chance aujourd’hui de pouvoir remonter à l’organisation des gamètes et de suivre l’évolution à partir de l’origine. En réalité la biologie qui est le résultat de millions d’années d’évolution des espèces, la biologie est bel et bien première dans la détermination du sexe individuel, y compris dans les accidents de parcours ... Ce sont des interventions physiologiques qui vont différencier le masculin du féminin. Mais la toute première origine est la rencontre de deux gamètes impossibles à confondre, le spermatozoïde masculin et l’ovule féminine qui vont se fusionner pour mieux se diviser, se sélectionner, et par deux fois se scinder en éliminant des parts d’elles-mêmes pour créer, par cette combinaison aléatoire, notre patrimoine génétique totalement individuel. Deux gamètes porteuses chacune d’un code génétique : si la combinaison est porteuse du gène Y la potentialité d’un être masculin est là et pour que naisse un individu garçon cet Y devra être activé par des hormones, puis par une organisation génitale émergeant d’un organe porteur, au départ, des deux : féminin et masculin ... Ainsi, on remarque qu’avant même la naissance un immense travail s’est effectué dans l’individu qui va naître, pour sa sexualisation : nous sommes passés de la fusion des gamètes à la différenciation d’un sexe, par le travail de la physiologie. Physiologie elle-même poussée à ce mouvement de différenciation par une énergie que l’on dit archétypique, une poussée de la vie qui est inclue dans l'instinct - hors du désir : je respire, je ne me fais pas respirer.
L’archétype s’origine étymologiquement dans les termes percer/ frapper et archives. La force de l’instinct se trouve dans cette poussée archétypique archivée dans l’évolution des espèces qui se complexifie en nous sortant de la parthénogenèse. Aussi je parlerais d'instinct, d’archétype de la différenciation ... Cette poussée vers la complexification est ce que l'on peut appeler l'archétype de la différenciation : ça ne vient pas de l'extérieur mais d'une poussée de l'intérieur.
Ce travail archétypique de la physiologie laisse-t-il une trace dans la psyché ? On peut se demander si le sexe qui est en quelque sorte" invalidé" a un impact sur la mémoire inconsciente ... La poussée archétypique, la conscience de l’archétype, se repère par des images. Nous pouvons constater que les anciens en ont parlé dans les mythes ; exemple celui de Platon, bien connu : « chaque homme était de forme ronde sur une seule tête, quatre oreilles, deux organes de la génération, et tout le reste à l'avenant. » Autre exemple celui du fils d’Hermès et Aphrodite qui, en s’unissant à Salmacis une ondine, perd une part importante de sa virilité et devient pour moitié féminin, d’où son nom : Hermaphrodite ... L’enfant qui vient au monde ne sait pas de quel sexe il est et pourtant il est bel et bien d’un seul sexe – sauf erreurs de parcours.
Comment avons-nous accès à notre bisexualité psychique, au fait que notre psyché est composée de féminin et de masculin, comment la reconnaissons-nous ? ... Nous sommes tous habités d’images, de soi et de l’autre. Je suis une femme porteuse d’images de femmes, au pluriel, et d’images d’hommes, au pluriel. Mais, lorsque je dis « images », ce ne sont pas uniquement des formes, ce sont des contenus, des sensations, des impressions qui se présentent sous le vocable féminin ou masculin ... Je suis une femme, porteuse dans ma psyché de différentes formes féminines, qui se conjuguent à différentes formes masculines, qui me viennent de mon propre imaginaire, de celui de mes parents et de leurs réalités, des idées de la société où j’ai grandi. Toutes plus ou moins figées, plus ou moins transformées au fil de ma propre expérience de vie. Un processus donc qui commence – on peut le dire avant la naissance par les impressions que le futur bébé reçoit ... La réalisation de l’archétype se fait à travers la vie au quotidien, je prends un exemple : l’image de la mère des origines prend forme réelle à travers la manière dont les premiers soins seront prodigués au nouveau-né puis au bébé, et à l’enfant. L’image du père archétypique – je pense qu’il existe bel et bien un archétype du père – s’actualise en complétant le masculin de la mère ; et ce d’un part par sa présence forte et rassurante auprès de la mère, par sa reconnaissance de l’enfant comme étant le sien, etc…
Cette définition de l’image est celle d’Antonio DAMASIO, médecin et neurologue. Et elle intègre les formes grandioses, mythiques, mythologiques, réelles, fantasmées. L’image n’est donc pas une simple représentation mais un contenu qui ex-prime la forme que prend la libido. Elle est donc un processus. Les images donnent la teneur positive ou négative du contenu abordé. Que ce soit un processus est bel et bien réel : les images portées par l’enfant ne sont plus celles de l’adulte et au fur et à mesure, en tant que processus, elles viennent construire d’abord l’identité, puis la sexualisation.
La bisexualité psychique nous invite à un dialogue complexe intérieur / extérieur, un processus qui s’accélère dans les premières années de la vie, en particulier chez l’enfant autour de 2 ans ½-3 ans selon mes observations. Cette période est cruciale pour la conscience de l’identité car nous pouvons dire que, comme l’enfant n’est pas fini à la naissance, son être sexué a besoin de temps pour se construire tel qu’il est en tant qu’être sexué. J'ai pris des exemples dans mon livre : M. la petite fille qui aura un gros cartable et la fille de Jung, Agathli ... L'enfant a besoin d'être rassuré quant à la construction de son identité ...
Je suis d'accord avec ceux qui se battent pour la protection des enfants et l'interdiction des opérations visant un changement de sexe avant l'âge adulte. La confusion actuelle semble conduire à des actes manquant de réflexion suffisante à propos du développement psychique et psychologique de l'enfant. Eliminer la différence des sexes dans l'apparence, au nom de la primauté du genre, ne résout pas la question humaine de la différenciation des sexes.
Je suis aussi tout à fait d'accord pour refuser les thérapies dites de "conversion" qui ressemblent davantage à des thérapies comportementales à bases de nouveaux conditionnements. La psychanalyse n'a, elle, aucun projet de guérison ; elle n'est pas une thérapie, elle est une cure de parole ; elle conduit à mettre en place un nouveau rapport à soi.
Comment les désirs inconscients des parents interfèrent-ils dans les demandes des enfants et des adolescents ? Je me permets d'espérer qu'à l'heure actuelle la réalité de l'inconscient n'est plus un mystère même si la plupart d'entre nous n'a pas accès à cet inconscient.
Denyse LYARD : "L'enfant peut être marqué plus profondément par la composante inconsciente de ses parents que par leur sexe manifeste."
Pour un enfant, Maman peut être habitée par un Animus plus fort que le masculin de Papa et Papa peut-être habité par une Anima plus forte que le féminin de Maman. Comment l'enfant se repère-t-il ? A quoi s'identifie-t-il ? A l'Animus de Maman ou à l'Anima de Papa ? A Maman en tant que femme ou à Papa en tant qu'homme ? L'OEDIPE est diversifié et augmenté, complexifié ! ... Et dans un couple homosexuel, on peut très bien observer le jeu entre Animus et Anima entre les personnes de même sexe, comme ce jeu s'observe entre des personnes de sexes différents. L'enfant va, par sa sensation, y puiser.
Conseils de lecture
Le Féminin, problème ou devenir ? par Mariette MIGNET - Editions des Presses universitaires du Midi (PUM)
La bisexualité originelle aujourd'hui par Mariette MIGNET - Editions Cahiers jungiens de psychanalyse N°154http://cahiers-jungiens.cairn.info
Eloge de l'inadéquation par Mariette MIGNET - Editions Cahiers jungiens de psychanalyse N°149http://cahiers-jungiens.cairn.info
Les analyses d'enfants par Denyse Lyard - Editions Albin Michel
Les racines de la conscience par Carl-Gustav JUNG - Editions Le Livre de Poche
Dictionnaire Jung direction par Aimé AGNEL - Editions Ellipses
100 % JUNG par Viviane THIBAUDIER - Editions Eyrolles