Sur les traces de Jung

Le propos

Dans les cabinets d’analystes, les enfants nés avec la PMA révèlent par leurs paroles le trouble qui les habite à propos de l’histoire de leur conception. Aujourd’hui, la petite graine de papa plantée dans le jardin-ventre de maman n’est plus d’actualité pour un nombre croissant de parents comme d’enfants.

Les enfants nés des progrès de la biotechnologie appliquée à la procréation sont supposés être des enfants sans différence avec ceux nés naturellement. Pourtant, l’aventure psychologique et physiologique vécue par leurs parents les marque, parfois consciemment mais toujours inconsciemment, d’une difficulté à se considérer (et à être considérés comme) des enfants comme les autres. Parfois les parents n’ont pu que raconter les étapes douloureuses d’un « parcours du combattant » qui a fait naitre l’enfant « du miracle », quand ils ont pu en dire quelque chose. Ce n’est alors pas l’histoire de leur désir, mais les avatars de leur besoin de conception qui sont transmis à l’enfant, laissant béante la fantasmatique des origines et ses constructions créatives.

Avec Brigitte Allain-Dupré, psychologue- clinicienne et psychanalyste jungienne.

Des phrases clés

« J’ai découvert Jung alors que j’étais en formation à Paris VII dans un milieu très freudo-lacanien. J’étais en analyse. Ces études étaient passionnantes mais quelque chose me retenait. Je n’avais pas envie d’entrer dans ce corpus freudien … J’ai commencé une analyse avec une jungienne … Il y avait là une transmission tout à fait inattendue et, ce, à travers les femmes … Ma grand-mère était en analyse avec Ania Teillard. »

« L’analyse d’enfants est aujourd’hui mieux reconnue mais on n’a pas toujours eu pignon sur rue … Les sociétés de psychanalyse, qui étaient aussi très occupées par des hommes, ne donnaient pas beaucoup d’importance à ces femmes, en majorité, qui s’occupaient des enfants. »

« Françoise DOLTO a été une figure extrêmement importante, même en dehors du monde lacanien, quand elle faisait ses émissions à la radio – et on voit bien quel est l’impact de la radio ; moi, je m’en souviens comme si c’était hier, de son émission Lorsque l’enfant paraît, qui a permis au grand public de s’ouvrir à une compréhension nouvelle de l’enfant … L’enfant est une personne, dotée d’un inconscient, dotée de désir, dotée de parole … Et ces émissions ont aussi donné une légitimité aux analyses d’enfants. »

« A notre époque, celle du COVID mais aussi du harcèlement, de l’omniprésence de la pornographie … les psychanalystes d’enfants ont un rôle très important à jouer dans l’écoute et l’accompagnement des enfants et de leurs parents. »

« Dans le monde jungien, il y a aussi une certaine difficulté à reconnaître la place des psychanalystes d’enfants. Ce n’est qu’en 1983 que l’AIPP (Association internationale de psychologie analytique) a reconnu notre existence officiellement alors que nous étions très nombreux à travailler depuis longtemps avec des enfants … Pour quoi ce retard ? D’abord à cause de JUNG. Pour lui, la période importante de la vie est ce qu’il appelait « la deuxième moitié de la vie », ce moment charnière du développement psychique où l’individu a déjà fait des grands choix -conjugaux, parentaux, professionnels … Jung préférait qu’on s’occupe des parents en décrivant la constellation archétypique inconsciente de la famille dans laquelle l’enfant était pris et donc c’était au niveau des parents qu’il fallait travailler … Dans certaines circonstances, cette analyse reste tout à fait juste mais depuis les débuts du XXème siècle, la culture familiale et la culture autour de la personnalité de l’enfant ont considérablement changé, ce qui justifie notre position. »

« A la SFPA, dès l’origine, il y a eu un groupe, autour de Denyse LYARD et Geneviève GUY-GILLET, qui s’est intéressé aux enfants. »

« Dans la période où il était encore dans une correspondance amicale et créative avec Freud, Jung s’intéressait aux enfants et en particulier à sa fille qui observait Mme Jung qui était enceinte … Jung décrit les élucubrations fantasmatiques de sa fille à propos de ce problème à venir et c’est une question qui reste tout à fait d’actualité pour les enfants. Cela reste le grand mystère qu’il faut éclaircir pendant l’enfance … FREUD, avec le petit Hans, a une manière très particulière d’y répondre car le petit Hans lui donne l’occasion de faire l’hypothèse du complexe d’Œdipe. Tandis que JUNG y répond d’une manière tout à fait différente, il ne met pas la sexualité au centre. Il met la curisoité au centre – la curiosité épistémophilique – le désir de savoir des enfants, c’est-à-dire toutes les questions du « pourquoi » et du « comment » de l’univers de l’enfance. »

« Un Anglais, Michael FORDHAM, pédopsychiatre qui traduisait les œuvres de Jung pour le publier en anglais, pendant la seconde guerre mondiale, avec d’autres fameux, MELTZER, BION, WINNICOTT, était en charge des enfants qui étaient complètement terrorisés par les bombardements de Londres … La constellation familiale, c’est très bien mais quand les enfants sont seuls, ils ont aussi un inconscient qui fait des rêves, des cauchemars et on peut tout à fait travailler avec eux … Michael FORDHAM a posé les bases de quelque chose qu’il a appelé le SOI PRIMAIRE ; cela a été repris par Erich NEUMANN. »

« Ce qui a motivé l’écriture de mon livre sur la PMA, c’est la sidération, le sentiment d’effroi que j’ai ressentis lorsque j’ai reçu le premier enfant qui était né à partir de cette biotechnologie … La détresse et le déficit de représentation que cette technologie induit … La PMA s’est diffusée d’une façon exponentielle ; ça a permis à énormément de gens de recommencer à espérer. »

« La PMA n’est pas une guérison de l’infécondité ou de l’infertilité ; c’est un détour, un détournement de l’obstacle … En 2018, 1 enfant sur 30 naissait de PMA. »

« Je crois qu’il n’y a rien de tel que de raconter des histoires singulières qui nous surprennent mais qui nous permettent aussi de nous identifier aux acteurs de la chose. »

« Nous, les analystes, nous sommes là pour écouter, et non pour prendre parti. »

« A travers les défaillances symboliques de la PMA – qui est hyper objective et hyper réifiante - je trouvais que le fondement de la pensée de Jung, avec son approche du symbolique et de l’archétypique, pouvait apporter des outils de compréhension tout à fait utiles. »

« Avec JUNG, il est possible de relier le sacré et le sexuel. Ils sont indissociables dans sa pensée. Il en parle de 1000 et 1 manières tout au long de son œuvre. »

« Cette dimension du sacré, reliée au sexuel et à la question de l’origine, est absolument essentielle pour constituer l’identité d’un enfant ou d’un adulte. »

« Dans le vocabulaire « la boutique des bébés », « la fabrication des enfants » … Ce sont des paroles que j’ai entendues dans mon cabinet, qui disent bien la carence, la défaillance du symbolique autour de cette conception des enfants nés avec la PMA. Et pour la majorité des enfants, si ce n’est pas doublé de quelque chose qui permet de fantasmer, de penser, de rêver, le parcours hospitalier est vécu comme une maladie et, ensuite, comme quelque chose d’extrêmement douloureux. »

« L’enfant est renvoyé à une double dimension. Il est valorisé comme étant l’enfant du miracle … mais dans sa manière de venir au monde, il est aussi celui qui a horriblement fait souffrir ses parents, sa mère en particulier … Et c’est quelque chose que les parents ont beaucoup de mal à métaboliser parce qu’ils ont besoin d’oublier cette partie douloureuse. »

« Se mettre à hauteur d’enfant … Aller chercher, dans notre capital de tranquillité naïve, quelque chose qui permet de parler avec les enfants. »

Conseils de lecture

Les souffrances de Pinocchio, PMA et transmission par Brigitte ALLAIN – DUPRÉ – Editions Le Martin-Pêcheur Domaine jungien

Guérir de sa mère, de la blessure à la réalisation de soi par Brigitte ALLAIN – DUPRÉ – Editions Eyrolles

Les analyses d'enfants par Denyse LYARD - Editions Albin Michel

Psychologie et éducation, conflits de l’âme enfantine par C.G. JUNG – Editions Buchet Chastel

Margot, l’enragée de Bruegel le vieux par Ania TEILLARD – Cahiers jungiens de psychanalyse 1978/2 n°17